Publié le 14 février, un rapport parlementaire, qui suscite l’hostilité des organisations syndicales et la vive réaction des experts des institutions représentatives du personnel (IRP), suggère, pour simplifier la vie des entreprises et favoriser leur croissance, de relever les seuils existants des CSE (lire notre article).
Le gouvernement a annoncé qu’il présenterait avant l’été un projet de loi sur le sujet. Si ce projet reprenait à son compte ces préconisations, comme le souhaite le ministre de l’économie, et si la loi était votée, ces changements auraient d’importants effets sur le dialogue social et la représentation des salariés dans les PME. En effet, la création du CSE et l’étendue des prérogatives de cette instance dépendent de l’effectif de l’entreprise. Rappel des dispositions actuelles et interrogations sur les changements envisagés.
Sont pris aujourd’hui en compte dans le calcul de l’effectif qui détermine si une entreprise doit organiser une élection de CSE, les CDI, les CDD, les salariés à temps partiels, certains intérimaires (art. L. 1111-2). En sont exclus les apprentis et les titulaires d’un contrat de professionnalisation (art. L. 1111-3).
Jusqu’en 2017, il n’y avait pas de comité d’entreprise sous la barre des 50 salariés, mais seulement des délégués du personnel (DP).
En fusionnant, à l’occasion des ordonnances Macron, les différentes instances représentatives (CHSCT, DP, CE), le législateur a adopté le nom générique de CSE (comité social et économique) quelle que soit la taille de l’entreprise. Mais le CSE qui existe dans les établissements de 11 à 49 salariés n’est pas un CSE de plein exercice : cette délégation du personnel recouvre seulement les attributions des anciens délégués du personnel (DP).
Il s’agit pour l’essentiel de présenter à l’employeur les réclamations individuelles et collectives des salariés, sachant que ce CSE peut aussi user d’un droit d’alerte en cas de danger grave et imminent ou en cas d’atteinte aux droits des personnes.
► La mise en place
Cette délégation se met en place dès lors que l’effectif de l’entreprise atteint au moins 11 salariés durant 12 mois consécutifs. Cela signifie que si, lors d’un mois, l’effectif repasse sous la barre de 11 salariés, le décompte repart de zéro ! Si une entreprise se crée en ayant d’emblée au moins 11 salariés, un délai d’un an est néanmoins imposé pour la mise en place du CSE.
► La fin de l’instance
A l’inverse, en cas de baisse d’effectifs, si celui-ci reste en dessous de 11 salariés pendant 12 mois consécutifs, le CSE n’est pas supprimé immédiatement. Mais il n’est pas renouvelé à l’expiration du mandat de ses membres. L’élection n’est alors pas organisée (art. L. 2313-10 du code du travail).
► La délégation
La délégation de ces CSE se limite à 1 élu de 1 à 11 salariés et à 2 élus de 25 à 49 salariés, et autant de suppléants. S’il dispose d’un local et d’un panneau d’affichage et s’il est réuni une fois par mois, ce « CSE » ne possède pas de budget propre (ni de fonctionnement, ni d’activités sociales et culturelles), il ne peut pas lancer d’expertise ni d’alerte économique, et ne dispose pas des informations de la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE).
► Le changement préconisé par le rapport
On peut déduire du rapport parlementaire une volonté de relever de 11 à 50 le seuil rendant obligatoire la création d’un CSE aux compétences limitées. Cela signifierait donc que jusqu’à 49 salariés, il n’y aurait pas de délégation du personnel dans ces entreprises.
La situation des CSE de 50 et 250 salariés
Ce n’est qu’à partir de 50 salariés qu’on peut véritablement parler d’un CSE de plein exercice : budget de fonctionnement et budget d’activités sociales et culturelles, prérogatives de l’ancien CHCST pour la santé-sécurité-conditions de travail, consultations importantes, droit d’expertise, mise à disposition d’une BDESE (base de données économiques, sociales et environnementales), droit à une formation économique de 5 jours, etc.
D’autres seuils existent bien sûr. Par exemple, en l’absence d’accord collectif sur le sujet, le nombre d’élus dépend de la tranche d’effectifs, selon le tableau de l’article R. 2314-1 du code du travail (ex : 4 titulaires de 50 à 74 salariés, 5 de 75 à 99 salariés, 10 de 200 à 249, etc). En outre, une commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) ne s’impose qu’à partir de 300 salariés. Autres exemples : la réunion mensuelle du CSE n’est obligatoire qu’à partir de 300 salariés, et c’est seulement à partir de 300 salariés que que la consultation annuelle sur la politique sociale doit aussi porter sur le bilan social.
► La mise en place
Actuellement, lorsqu’une entreprise de moins de 50 salariés, qui dispose donc d’un CSE limité, voit son effectif atteindre ou dépasser 50 salariés, elle ne doit pas tout de suite doter le CSE de ses prérogatives étendues : cela prend 2 ans ! Il faut en effet d’abord attendre que cet effectif d’au moins 50 salariés soit atteint pendant 12 mois consécutifs. Et à partir de ces 12 mois, un autre délai de 12 mois court au terme duquel le CSE voit ses prérogatives étendues (art. L. 2312-2 du code du travail).
Lorsque l’entreprise n’était pas dotée d’un CSE et qu’elle atteint le seuil de 50 salariés, il faut là aussi attendre : la règle de 12 mois consécutifs pour l’atteinte du seuil est la même. Suit alors la création du CSE. Elle-même suivie d’un nouveau délai d’un an avant que le CSE puisse exercer toutes ses prérogatives.
Concernant le seuil d’accès à certaines prérovatives, la règle est la même. Par exemple, il faut que l’effectif de l’entreprise atteigne 300 salariés pendant 12 mois consécutifs pour que, une nouvelle année plus tard, le CSE accède à ces prérogatives renforcées (ex: BDESE, information trimestrielle sur l’évolution de l’emploi, etc.).
► La réduction des prérogatives
Si l’effectif passe sous les 50 salariés durant 12 mois consécutifs, il n’y a pas de changement en cours de mandat : le CSE conserve ses attributions. En revanche, lorsque l’effectif de 50 salariés n’a pas été atteint pendant les 12 mois précédant le renouvellement de l’instance, ce renouvellement change la donne : le CSE voit, à l’occasion de l’élection, ses prérogatives ramenées à celles, réduites, des CSE de 11 à 49 salariés (art. L. 2312-3).
► Le changement préconisé par le rapport
Il consiste à relever de 50 à 250 salariés le seuil rendant obligatoire la création d’un CSE aux prérogatives renforcées.
Autrement dit, de 50 à 249 salariés, les salariés n’auraient qu’un CSE limité pour l’essentiel aux prérogatives des anciens délégués du personnel. Le rapport ne dit rien sur le nombre d’élus du CSE ainsi modifié. De 50 à 249 salariés, y aurait-il comme actuellement entre 4 à 10 élus titulaires, ou l’objectif est-il de ne garder qu’une délégation limitée, comme elle existe actuellement de 11 à 49 salariés, avec 1 à 2 élus ? On l’ignore. Même question pour le véritable CSE qui ne serait instauré qu’à partir de 250 salariés : actuellement, un CSE de 250 à 299 salariés doit comporter 11 élus titulaires, partirait-on demain sur cette base ou d’un niveau inférieur ? Dans ses dernières propositions, la CPME, l’organisation patronale des PME, plaide pour une baisse radicale en limitant le nombre de titulaires du CSE à 1 jusqu’à 49 salariés et à 3 jusqu’à 250 salariés…
La BDESE
Issue d’un accord national interprofessionnel signé par trois syndicats (CFDT, CFTC, CFE-CGC) et trois organisations patronales (Medef, CGPME, UPA) transposé dans la loi de sécurisation de l’emploi de 2012, la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE) est un outil essentiel pour l’information des CSE, même si l’on constate souvent des problèmes de mise à disposition ou de mise à jour des informations (lire notre article).
► La mise en place
L’employeur doit obligatoirement mettre en place cette BDESE à partir de 50 salariés, dans une version simplifiée. A partir de 300 salariés, la BDESE doit comprendre des informations plus détaillées.
► Le changement préconisé par le rapport
Il s’agit de relever de 50 à 250 salariés le seuil rendant obligatoire la création d’une BDESE, et de porter de 300 à 1 000 salariés le seuil à partir duquel les entreprises doivent présenter une BDESE enrichie.
Le rapport parlementaire fournit lui-même une alternative à sa proposition maximale de relèvement des seuils : « Des seuils intermédiaires de 20 et 100 salariés pourraient également être créés en lieu et place des seuils à 11 et 49 actuels ». Autrement dit, le CSE version délégués du personnel débuterait à 20 salariés au lieu de 11, et le CSE de plein exercice à 100 salariés au lieu de 50. Une hypothèse à considérer : ne s’achemine-t-on pas vers une limitation à 6 mois du délai de contestation d’un licenciement, alors que le ministre de l’économie avait parlé dans un premier temps de ramener ce délai à seulement 2 mois ? A suivre…
Le rapport parlementaire, qui ne comporte pas d’étude d’impact, ne présente aucune précision sur la façon dont ces changements s’appliqueraient : la future loi et ses décrets devront fixer ces éléments. Des changements qui peuvent aussi bouleverser la mesure d’audience servant de base à la représentativité syndicale, le cycle actuel s’achevant fin 2024 (voir notre vidéo).
Sur la base des règles actuelles, on peut penser que ces relèvements de seuils s’appliqueraient à l’expiration des mandats des actuels CSE, ce qui entraînerait la disparition à terme de nombreuses instances et de mandats.
A moins que le gouvernement n’opte pour une mesure plus rapide, type date butoir (ce fut le cas pour la mise en place du CSE, mais avec une longue période transitoire de 2017 à 2019). Les entreprises intéressées par la possibilité de se passer d’IRP pourraient y trouver leurs comptes, moins celles qui verraient se précipiter certaines échéances électorales, les services RH ayant déjà connu ce chantier chronophage lors des ordonnances…
« Ils pourraient imaginer quelque chose du genre : avec les nouveaux seuils, les instances et/ou les prérogatives disparaissent lors des échéances électorales, sauf en cas d’accord collectif », imagine Mikaël Klein, un avocat qui défend les organisations syndicales.
Cet avocat ne s’avoue du reste « pas surpris » mais quand même un peu « désespéré » par le contenu de ce rapport, à ses yeux « idéologique » : « Le document méconnaît totalement l’intérêt et les enjeux d’une représentation du personnel et d’une négociation collective réelle. On a l’impression qu’il faudrait que l’employeur puisse décider seul ou directement avec les salariés, sans intermédiaire, la représentation du personnel étant quasiment jugée parasitaire ».
L’avocat estime qu’il s’agit sûrement d’un ballon d’essai, qui pourrait aboutir in fine à un relèvement du CSE de plein exercice de 50 à 100 salariés, alors que de nombreux rapports ont alerté sur les conséquences des ordonnances de 2017. Mais Mikaël Klein reste prudent et ajoute : « Depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, les organisations syndicales savent bien qu’il rêve de mettre un terme au monopole de négociation des délégués syndicaux via la fin du monopole syndical de présentation des candidats au 1er tour. Si un texte était voté relevant à 250 salariés le seuil de désignation d’un DS (*), cela ne reviendrait-il pas au même ? »
(*) Cette mesure ne figure pas dans le rapport, mais la CPME suggère « de faire sauter le monopole syndical de présentation des candidatures au 1er tour des élections professionnelles » dans les entreprises de moins de 300 salariés.
« Rendre des heures aux Français » ?
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Le titre du rapport parlementaire (« Rendre des heures aux Français ») peut laisser perplexe. Cette formule semble signifier que les heures consacrées par des représentants du personnel à leur mandat, et donc à la défense et à la représentation des salariés auprès des employeurs, seraient des heures perdues, voire qu’elles n’auraient qu’une valeur négative sur le plan économique. Cela rappelle le fameux rapport Perruchot de 2011, qui assimilait les moyens liés à l’exercice du droit syndical, comme le crédit d’heures, à un financement des syndicats. Cet intitulé ignore d’une part un principe constitutionnel, posé par le huitième alinéa du Préambule de 1946 : « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ». Ensuite, sans même parler ici de leur rôle relatif aux activités sociales et culturelles et au suivi de la marche économique de l’entreprise, les représentants du personnel contribuent à améliorer les conditions de travail des salariés, et l’on sait le coût que représente pour une entreprise un taux élevé d’absentéisme ou d’accidents de travail et de maladies professionnelles… ► Rappelons qu’en 2018, le Conseil constitutionnel avait décidé que les dispositions des ordonnances instaurant le CSE, et ratifées par la loi, ne méconnaissaient pas le principe de participation du personnel à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion de l’entreprise. « Je ne suis pas un spécialiste du droit constitutionnel, mais il me semble qu’il pourrait en aller autrement avec une disposition qui priverait du droit à la participation à la gestion des entreprises les salariés employés dans des entreprises de moins de 250 salariés », commente l’avocat Mikaël Klein. |
30% de salariés concernés en cas de relèvement des seuils ?
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Selon la direction des statistiques et de la recherche du ministère du travail (Dares), la part des entreprises déclarant la présence d’une institution représentative du personnel a chuté de 5 points entre 2018 et 2020. En 2020, selon les chiffres de la Dares, le CSE était présent dans :
On voit donc que de nombreux salariés seraient susceptibles de ne plus être représentés ou de l’être moins bien en cas de relèvement des seuils du CSE. Combien ? Difficile à dire précisément. Mais on sait avec les chiffres de l’Insee que les PME (entreprises de moins de 250 salariés) sont au nombre de 159 000 en France, et qu’elles emploient 4,3 millions de salariés, soit 30% du total des salariés. Le cabinet Degest en déduit, dans une note, qu’en cas de relèvement important des seuils, « 30% des salariés seraient privés de CSE ainsi que de toute activité sociale ». |