Le juge n’a pas à contrôler le choix de l’expert auquel le comité a décidé de faire appel, sauf abus manifeste. Et ce n’est pas le cas d’un comité qui a désigné un cabinet avant d’avoir déterminé les modalités et le coût de l’intervention avec l’expert.

Les expertises du CSE (et avant lui du CE et du CHSCT) ont toujours donné lieu à un abondant contentieux. C’est la nécessité ou le coût de l’expertise qui sont le plus souvent mis en cause, plus rarement le choix de l’expert. Et pour cause, la jurisprudence décide depuis des années que dès lors que le cabinet d’expertise désigné dispose bien de la qualité nécessaire (habilitation ou expertise comptable), seul « l’abus manifeste » pourrait
justifier l’immixtion du juge dans ce choix.

Mais quel peut-être cet « abus manifeste » ? La Cour de cassation n’en donne pas de définition mais offre une illustration de ce qui n’en est pas un dans cet arrêt du 22 septembre 2021.

Expertise pour risque grave votée par le CHSCT

Dans cette affaire, un CHSCT décide du recours à l’expertise pour risque grave, et quelques semaines plus tard désigne un cabinet pour y procéder.
L’employeur conteste cette expertise, et demande subsidiairement l’annulation de la désignation du cabinet choisi par le comité. Il obtient gain de cause au motif que le CHSCT avait désigné cet expert sans disposer ni d’offre, ni d’explication sur la méthodologie proposée ou le coût de l’intervention.

Le tribunal considère qu’il s’agit là d’un « abus manifeste » car le CHSCT n’aurait « pas respecté son devoir de loyauté s’agissant des modalités de désignation de l’expert ». Le juge enjoint donc le comité à désigner un autre cabinet.

Pas d’abus manifeste résultant des modalités de désignation de l’expert 

Mais la Cour de cassation n’est pas d’accord. Elle rappelle sa jurisprudence constante en la matière : « Sauf abus manifeste, le juge n’a pas à contrôler le choix de l’expert auquel le CHSCT a décidé de faire appel » (notamment, Cass. soc., 26 juin 2001, n° 99-11.563). Puis elle précise que l’argument tiré du manquement à l’obligation de loyauté s’agissant des modalités de désignation de l’expert ne constitue pas un tel abus manifeste. Le juge ne
pouvait donc pas demander au comité de désigner un autre expert. 

En effet, comme le souligne dans les moyens annexés le CSE (qui a remplacé le CHSCT), les modalités et le coût de de l’expertise peuvent être définis après la désignation de l’expert, il n’y a donc pas d’abus. En outre, cet abus ne saurait être caractérisé en se fondant sur les éléments ressortant de la convention d’expertise produite postérieurement à sa désignation, seuls les éléments connus à la date de désignation pourraient caractériser
un tel abus. Aussi dans ce cas, c’est le coût prévisionnel ou final de l’expertise qu’aurait pu contester l’employeur, une fois le devis ou la facture envoyée par le cabinet.

Cette jurisprudence concerne une expertise risque grave décidée par un CHSCT, mais elle s’applique au CSE quel que soit le cas d’expertise en cause.

► NDLR : même si la Cour de cassation ne se prononce pas sur ce point dans cet arrêt, il semble qu’un coût « manifestement surévalué » d’expertise pourrait constituer un « abus manifeste » justifiant la contestation du choix de l’expert, mais seulement dès lors que le CSE dispose de cette information au moment de la désignation de l’expert. Une décision de la Cour de cassation semble aller dans ce sens mais elle n’a pas été confirmée depuis. Dans cette affaire, le juge annule la délibération de désignation de l’expert (Cass. soc., 26 juin 2001, n° 99-18.249). Il n’y a pas d’autre jurisprudence de la Cour de cassation à notre connaissance reconnaissant un abus manifeste du CSE dans le choix de l’expert. 

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