Le compte rendu écrit d’un entretien d’évaluation comportant des griefs précis reprochés au salarié et lui enjoignant de modifier son comportement constitue un avertissement épuisant le pouvoir disciplinaire de l’employeur.

L’entretien d’évaluation, souvent organisé annuellement entre le salarié et son supérieur hiérarchique, destiné à faire le bilan de l’année et à fixer les objectifs de l’année suivante, est un moment privilégié pour faire le point et est souvent l’occasion d’émettre des points d’alerte et suggestions d’amélioration. Attention toutefois aux éventuels reproches faits au salarié à cette occasion. Selon les griefs énoncés et la façon dont ils sont formulés, ils peuvent être qualifiés de sanction disciplinaire au sens de l’article L.1331-1 du code du travail, épuisant ainsi le pouvoir disciplinaire de l’employeur et l’empêchant de prononcer ultérieurement une nouvelle sanction pour les mêmes faits. C’est sur cette question qu’un arrêt de la Cour de cassation rendu le 2 février 2022 attire l’attention.

Dans cette affaire, un salarié a été licencié pour faute grave en raison de manquements dont l’employeur lui avait déjà fait reproche à l’occasion d’un entretien annuel d’évaluation. Dans le compte rendu écrit de cet entretien, transmis au salarié, l’employeur lui reproche une attitude dure et fermée aux changements, à l’origine d’une plainte de collaborateurs en souffrance, des dysfonctionnements graves liés à la sécurité électrique et le non-respect des normes réglementaires, et l’invite de manière impérative à un changement complet.

Des reproches écrits constituent un avertissement

La cour d’appel de Besançon juge que ce document comportant des griefs précis sanctionne un comportement considéré comme fautif par l’employeur et constitue un avertissement disciplinaire. Par conséquent, les mêmes faits, déjà sanctionnés, ne pouvaient plus justifier un licenciement ultérieur, privant ainsi de cause réelle et sérieuse le licenciement du salarié.

La Cour de cassation approuve cette décision et rejette le pourvoi. Il faut dire que les juges bisontins se réfèrent expressément à un arrêt de cette Haute Cour ayant dans le même sens considéré qu’un courriel adressé par l’employeur à une salariée, lui reprochant des manquements aux règles et procédures internes, et l’invitant de manière impérative à se conformer à ces règles et à ne pas poursuivre ce genre de pratique, sanctionnait un comportement fautif et constituait un avertissement, en sorte que les mêmes faits ne pouvaient plus justifier un licenciement pour faute (arrêt du 9 avril 2014).

À la lecture des arrêts rendus en la matière par la chambre sociale de la Cour de cassation, des reproches et mises en garde formulés par écrit sont le plus souvent analysés comme une sanction, par exemple lorsque, dans la lettre ou le courriel adressé au salarié, l’employeur :

Quid de l’entretien annuel d’évaluation ?

Cette solution, si elle ne surprend pas, suscite des interrogations pratiques en ce qu’elle est rendue à propos du compte rendu écrit d’un entretien annuel d’évaluation, où il n’est pas rare que des reproches soient formulés.

La Cour de cassation a d’ailleurs déjà validé le raisonnement d’une cour d’appel ayant retenu que ne s’analysait pas en une mesure disciplinaire un document rédigé par l’employeur, qui n’était que le compte rendu d’un entretien au cours duquel il avait énuméré divers griefs et insuffisances imputés au salarié, sans traduire une volonté de sa part de les sanctionner (arrêt du 12 novembre 2015). L’arrêt du 2 février 2022 confirme que cette solution a été rendue en considération des termes employés dans ce document et non de sa nature de compte rendu d’entretien d’évaluation, lequel peut être qualifié de sanction disciplinaire selon son contenu.

À notre avis, en cas de reproches faits par écrit et d’une injonction à un changement de la part du salarié dans son comportement ou dans l’exécution du travail, même dans le cadre de l’entretien d’évaluation, un suivi est recommandé : si à l’issue de cet entretien le salarié persiste dans le comportement qui lui est reproché, alors les faits fautifs nouveaux pourront être sanctionnés, en tenant compte des faits antérieurs. En effet, de nouveaux griefs autorisent l’employeur à retenir des fautes antérieures, même déjà sanctionnées, pour apprécier la gravité des faits reprochés au salarié (notamment arrêt du 30 octobre 2007).

Il appartiendra également à l’employeur de différencier les manquements du salarié constituant une faute de ce qui relève d’une insuffisance professionnelle non fautive, laquelle peut justifier un licenciement pour motif personnel, mais pas disciplinaire.

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