Au 10 septembre 2019, environ 21 200 CSE d’établissements de plus de 50 salariés ont été mis en place. Les organisations syndicales et patronales s’inquiètent de la situation des entreprises qui n’auront pas organisé d’élections avant fin décembre.

Environ 42 600 CSE d’établissement ont été mis en place en France au 10 septembre 2019 (contre 23 700 au 31 mars 2019) dont 18 400 concernent des établissements de moins de 50 salariés, 21 200 des établissements de plus de 50 salariés (contre 8 300 en mars dernier) dont 17 600 dans la tranche 50-300, 3 600 au-delà de 300 salariés, sachant que près de 3 000 établissements n’ont pas d’effectif connu. Et il y aurait déjà 15 761 constats de carence totale. Des chiffres qu’il est impossible de comparer au précédent cycle électoral dans la mesure où le changement de périmètre, facilité par les ordonnances, peut affecter le nombre d’établissements.

Quoi qu’il en soit, les derniers chiffres communiqués par l’administration aux organisations syndicales et patronales sur le passage à la nouvelle instance unique, le comité social et économique, n’ont pas rassuré ces dernières. Celles-ci s’inquiètent du flux massif actuel de demandes de négociations de protocoles préélectoraux : ils estiment que toutes les entreprises ne pourront pas organiser des élections professionnelles pour permettre la mise en place des CSE au 1er janvier. Se poserait alors la question du vide juridique ouvert par cette situation : en effet, au 31 décembre 2019, les mandats précédents (CE, DP, CHSCT ou DUP) tombent, ainsi que les accords associés à ces instances. Serait-ce vraiment le signe d’une amélioration du dialogue social dans les entreprises, objectif affiché par les ordonnances Travail ?

La date limite ne change pas

Mais la réponse donnée par la direction générale du travail (DGT) est lapidaire : la loi impose aux entreprises de passer au CSE avant la fin de l’année, l’administration a tout mis en œuvre depuis deux ans pour faire connaître cette échéance et aider les entreprises. Bref, circulez, il n’y a rien à voir. Les organisations syndicales redoutent aussi un fort niveau de carence, c’est-à-dire l’impossibilité de mettre en place la nouvelle instance faute de candidats aux élections professionnelles.

Cette incertitude constitue un aléas supplémentaire dans le paysage déjà tourmenté de la représentation du personnel, qui a connu maintes réformes depuis des années avant ce nouveau changement. Un paysage que Marcel Grignard, co-président du comité d’évaluation des ordonnances, a analysé de façon clinique devant les élus du personnel présents hier à Angers pour l’Observatoire du réseau Cezam (*). Son constat : la mise en place des CSE se fait laborieusement et sur fond de désaccords entre employeurs et élus du personnel, les uns pouvant être tentés de voir dans le CSE l’occasion d’économies via notamment une centralisation du dialogue social, quand les seconds semblent arc-boutés sur la défense de l’existant. Conséquence : peu d’accords sont réellement innovants, et peu traitent la question de la formation des élus, de la reconnaissance de leurs compétences et de leur évolution professionnelle, alors, selon les mots de Marcel Grignard, qu’être élu « c’est apprendre à comprendre la complexité, apprendre à négocier, et cela ce sont des qualités précieuses pour toute entreprise ».

L’absence de diagnostic partagé

« En tant qu’élus, nous n’avons jamais pensé les choses en termes de diagnostic partagé. Nous avons eu l’obsession des moyens, face à un employeur et son conseil juridique qui cherchaient à tirer la couverture à eux », a partagé l’élue d’une entreprise de 300 salariés.

Pour Marcel Grignard, c’est justement là que le bât blesse : « Les ordonnances demandent aux acteurs de changer leurs pratiques mais on ne change pas les comportements par la loi ». Et l’ancien numéro 2 de la CFDT, selon lequel l’établissement d’un diagnostic partagé est le préalable indispensable de toute négociation si l’on veut confronter utilement les points de vue, de juger que le cadre juridique posé par les ordonnances est sans doute trop rigide pour laisser les acteurs innover réellement. 

Pour autant, Marcel Grignard fait œuvre d’optimisme. Certes, le 1er mandat du CSE est crucial car un non renouvellement des sortants à l’issue de ce premier mandat serait désastreux pour la représentation collective, les deux questions cruciales à résoudre à ses yeux avec la nouvelle instance étant d’abord de traiter autrement la question de la santé au travail, « sans chercher à reprendre dans la commission santé sécurité conditions de travail (CSSCT) le cadre du CHSCT », ensuite de réussir à faire le lien entre le travail de l’instance avec la vie quotidienne des salariés.

Mais il faut voir au-delà, plaide-t-il. Face à la possibilité d’un monde social désorganisé et sans intermédiaires, comme les gilets jaunes en sont la préfiguration, l’intérêt des entreprises, qui sont violemment confrontées au défi économique, social et climatique, est de dialoguer avec des élus représentatifs et organisés, lesquels devront réinventer leur rôle autour de ces questions. « Les ordonnances donnent sur le papier la possibilité de penser autrement l’organisation du travail, lance le co-président du comité d’évaluation des ordonnances. Les accords de performance collective peuvent être utilisés pour niveler par le bas les statuts sociaux mais ils peuvent aussi donner lieu à un autre dialogue».

En attendant, le comité d’évaluation des ordonnances poursuit ses travaux : il devrait s’intéresser au fonctionnement des observatoires départementaux d’analyse et d’appui au dialogue social. Une étude réalisée auprès de 40 CSE sera bientôt publiée, mais la prochaine évaluation ne devrait pas paraître avant le printemps.

(*) ActuEL-CE/CSE et les Editions Législatives étaient partenaires de l’événement

Source – Actuel CE