Gilles Auzero

Professeur à l’université de Bordeaux

L’ESSENTIEL

Les informations figurant dans la base de données économiques et sociales portant sur l’année en cours sur les deux

années précédentes et intégrant des perspectives sur les trois années suivantes, doivent, dans le cas d’une opération de fusion, être relatives aux entreprises parties à l’opération pour les années en cause, sauf impossibilité pour l’employeur de se les procurer.

EXTRAITS

Cass. sec., 27 nov. 2019, n° 18-22532, Sté Sopra Steria Groupe, F-PB

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 15 juin 2018]. Statuant en la forme des référés, que la société Sopra Steria Group [la société] ayant procédé à la consultation de son comité central d’entreprise [le CCE] sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et de l’emploi, au titre de l’année 2015, le CCE a, par décision du 30 septembre 2016, décidé de la désignation d’un expert, le cabinet Acee ; que le 28 novembre 2016, le CCE et le cabinet d’expertise ont saisi le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés pour obtenir la communication de documents supplémentaires portant sur la situation sociale des sociétés Sopra et Steria antérieurement à leur fusion effective au 01er janvier 2015, soit pour les années 2013 et 2014, et la prorogation des délais de consultation du CCE;

Attendu que la société fait grief à l’arrêt de constater quelle n’avait pas remis au CCE [dit « le comité d’établissement »]

de la société la totalité des documents obligatoires lors de la consultation annuelle sur la politique sociale 2015, de déclarer recevable la demande de communication de pièces présentée par le CCE de la société et par le cabinet d’expertise, de dire que la société devra communiquer au cabinet d’expertise les documents dont la liste figure en pièce n° 4-2 communiquée par le CCE et par le cabinet d’expertise et de dire que cette communication devra se faire avant l’expiration du délai d’1 mois à compter de la signification de son arrêt, sous astreinte, […]

Mais attendu qu’au× termes des articles L. 2323-8 et R. 2323-1-5 du Code du travail, alors applicables, les informations figurant dans la base de données économiques et sociales portent sur l’année en cours, sur les deux années précédentes et intègrent des perspectives sur les trois années suivantes ; qu’il en résulte que dans le cas d’une opération de fusion, les informations fournies doivent porter, sauf impossibilité pour l’employeur de se les procurer, sur les entreprises parties à l’opération de fusion, pour les années visées aux articles précités;

Et attendu que la cour d’appel ayant constaté qu’à la suite de la fusion-absorption effective au 1er janvier 2015 des sociétés Sopra et Steria, l’employeur n’avait pas transmis au comité central d’entreprise de la société Sopra Steria Group et au cabinet d’expertise, à l’occasion de la consultation annuelle 2015 sur la politique sociale de l’entreprise, et malgré leur demande, certaines informations concernant les sociétés Sopra et Steria pour les années 2013 et 2014, en a exactement déduit que le comité central d’entreprise n’avait pas reçu l’information légalement due ; […]

Par ces motifs : rejette le pourvoi ; […]

NOTE

On se souvient que la loi n° 2013-504, du 14 juin 2013, de sécurisation de l’emploi a institué une base de données économiques et sociales (BDES), conçue comme le réceptacle des éléments d’information transmis de manière récurrente au comité d’entreprise et au CHSCT. Ainsi que l’affirmait l’ancien article L. 2323-9 du Code du travail, la mise à disposition « actualisée ›› de ces éléments au sein de la BDES « vaut communication des rapports et informations » à ces institutions représentatives du personnel. Consécutivement à la réforme précitée, la BDES est donc devenue le support des consultations récurrentes du comité d’entreprise. Cela signifie que, dans la perspective de ces consultations, l’employeur n’a plus à communiquer les informations pertinentes au comité mais doit les mettre à sa disposition au sein de la base 1.

L’ancien article L. 2323-17 du Code du travail disposait qu’en vue de la consultation annuelle sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi, l’employeur doit mettre à la disposition du comité d’entreprise, au sein de la BDES, un certain nombre d’informations qu’il énumère. Si l’application de cette disposition ne suscite guère de difficultés quant à la nature des éléments d’information à faire figurer au sein de la base, encore faut-il prendre en considération la période concernée par ces éléments, spécialement quand la consultation du comité intervient postérieurement à une opération de fusion. C’est précisément la question que vient régler l’arrêt sous examen.

En l’espèce, la société Sopra Steria Group (la société) ayant procédé à la consultation de son comité central d’entreprise (le CCE) sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et de l’emploi, au titre de l’année 2015, le CCE a, par décision du 30 septembre 2016, décidé de la désignation d’un expert, le cabinet Acee. Le 28 novembre 2016, le CCE et le cabinet d’expertise ont saisi le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés pour obtenir la communication de documents supplémentaires portant sur la situation sociale des sociétés Sopra et Steria antérieurement à leur fusion effective au 1er janvier 2015, soit pour les années 2013 et 2014, et la prorogation des délais de consultation du CCE. La société reprochait à l’arrêt d’avoir fait droit à cette demande. À l’appui de son pourvoi, elle soutenait notamment que l’employeur n’est pas tenu, en l’absence d’accord collectif le prévoyant, lorsque l’entreprise est issue d’une opération de fusion-absorption, de communiquer des informations relatives aux sociétés qui ont été absorbées par l’entreprise.

Ces arguments n’auront pas convaincu la Cour de cassation qui rejette le pourvoi. Ainsi que l’affirme d’abord la chambre sociale, « aux termes des articles L. 2323-8 et R. 2323-1-5 du Code du travail, alors applicables, les informations figurant dans la base de données économiques et sociales portent sur l’année en cours, sur les deux années précédentes et intègrent des perspectives sur les trois années suivantes [….] ; il en résulte que dans le cas d’une opération de fusion, les informations fournies doivent porter, sauf impossibilité pour l’employeur de se les procurer, sur les entreprises parties à l’opération de fusion, pour les années visées aux articles précités ››. La Cour de cassation relève ensuite que « la cour d’appel ayant constaté qu’à la suite de la fusion-absorption effective au 1er janvier 2015 des sociétés Sopra et Steria, l’employeur n’avait pas transmis au comité central d’entreprise de la société Sopra Steria Group et au cabinet d’expertise, à l’occasion de la consultation annuelle 2015 sur la politique sociale de l’entreprise, et malgré leur demande, certaines informations concernant les sociétés Sopra et Steria pour les années 2013 et 2014, en a exactement déduit que le comité central d’entreprise n’avait pas reçu l’information légalement due ».

La solution n’allait pas de soi. Dans la mesure où c’est l’employeur qui est débiteur de l’obligation de consulter le

comité d’entreprise, il pouvait être argué que les informations qu’il doit mettre à sa disposition dans cette perspective sont celles afférentes à l’entreprise juridiquement structurée par la personne morale employeur. Sans doute, la jurisprudence donne-t-elle à voir des cas dans lesquels il est fait obligation à l’employeur de délivrer des informations intéressant des sociétés tierces, spécialement dans les groupes de sociétés2. Mais la différence majeure avec la situation ici en cause réside, si l’on peut dire, dans le fait que ces sociétés existent. Or, on le sait, une opération de fusion conduit nécessairement à la disparition d’au moins une personne morale, voire de plusieurs lorsque la fusion débouche sur la création d’une société nouvelle.

A dire vrai, cela n’a pas échappé à la Cour de cassation puisqu’elle prend soin de souligner que les informations fournies doivent porter sur les entreprises parties à l’opération de fusion, « sauf impossibilité pour l’employeur de se les procurer ». La réserve est logique. À la différence de la jurisprudence précitée, il ne s’agit pas pour l’employeur de solliciter des éléments d’information auprès de sociétés tierces3, mais de mettre à disposition du comité de l’entreprise résultant de la fusion des informations relatives à une ou plusieurs sociétés absorbées.

Toujours est-il que la Cour de cassation n’a pas souhaité entrer dans de telles considérations préférant s’en tenir aux

exigences de la loi relatives aux périodes sur lesquelles portent les informations mises à la disposition du comité d’entreprise au sein de la BDES. Un peut, au demeurant, considérer que la solution fait sens en ce qu’elle permet au comité de l’entreprise issue de l’opération de fusion d’exercer pleinement et utilement ses attributions. Les juges d’appel avaient d’ailleurs relevé à cet égard, et à juste titre, que « la fusion intervenue entre les deux sociétés rend nécessaire un examen comparé des éléments sociaux relatifs aux deux entités, dont les élus respectifs ne pouvaient pas avoir connaissance avant la fusion ».

À l’avenir, il conviendra donc, dans l’hypothèse d’une opération de fusion, de penser à conserver les éléments d’information relatifs aux sociétés parties à ladite opération. Le plus simple, peut-on le penser, sera alors de préserver les BDES de ces sociétés, si tant est qu’elles existent. Il faut, en effet, avoir à l’esprit que la solution retenue à propos de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise vaut certainement pour les autres cas de consultations récurrentes. D’un point de vue concret, il conviendra « d’extraire ›› les informations pertinentes des bases de données des sociétés absorbées pour les inclure dans celle de la société résultant de l’opération4. À défaut, et sauf à ce que le chef d’entreprise de cette dernière puisse faire état d’une impossibilité de se procurer les informations en cause, il faut considérer, avec la Cour de cassation, que le comité d’entreprise n’aura « pas reçu l’information légalement due ». Dans la mesure où les délais de consultation  du comité courent à compter du moment où les informations requises par la loi ont été mises à sa disposition (C. trav., art. R. 2323-1 anc.), il y a lieu d’en déduire que ces délais n’ont donc pas commencé à courir5. Cette situation doit être distinguée de celle dans laquelle des éléments d’information C1 ayant été insérés dans la BDES le comité estime qu’ils ne sont  pas suffisants et demande au juge d’ordonner la communication des éléments manquants6. Dans ce cas, le délai de consultation a bel et bien commencé à courir7.

Il faut, pour conclure, indiquer que la solution retenue dans l’arrêt sous examen pourra, le cas échéant, continuer à s’appliquer au comité social et économique. Il n’en ira, en effet, ainsi que si les dispositions supplétives relatives à l’organisation et au contenu de la BDES trouvent à s’appliquer. Ainsi que le précise désormais l’article R. 2312-10 du Code du travail, « en l’absence d’accord prévu à l’article L. 2312-21, les informations figurant dans la base de données portent sur l’année en cours, sur les deux années précédentes et, telles qu’elles peuvent être envisagées, sur les trois années suivantes ». Un accord conclu au sein de la société issue d’une opération de fusion pourra tout à fait prévoir que les informations y figurant n’auront trait qu’à l’année en cours ou, portant sur celle-ci et les deux années précédentes, ne concerneront pas les sociétés absorbées.

1 En revanche, et s’agissant des consultations ponctuelles, l’employeur reste tenu d’adresser aux représentants du personnel les informations utiles.

2 Cass. soc., 27 nov. 2001, n° 99-21903 : Bull civ. V, n° 367. En l’espèce, l’expert-comptable d’un comité d’entreprise exigeait la communication d’informations relatives à d’autres sociétés du groupe.

3 Remarquons que dans l’arrêt Cass. soc., 27 nov. 2001, n° 99-21903, la Cour de cassation fait état de semblable réserve, justifiée par le fait que les sociétés auprès desquelles les informations étaient à recueillir se situaient à l’étranger.

4 La Cour de cassation n’évoque nullement la manière dont l’employeur doit se procurer les informations pertinentes. Cela étant, les sociétés absorbées ayant disparu, on se demande bien à qui l’employeur pourra s’adresser afin de les obtenir…

5 V. en ce sens, Cass. soc., 28 mars 2018, n° 17-13081 : BJS juin 2018, n° 118q9, p. 327, note Bugada A. ;]CP S 2018, 1167, note Guèdes da Costa N. En l’espèce, la BDES n’avait même pas été constituée. La solution est transposable à la situation dans laquelle la base, pour exister, ne comporte pas les informations requises par la loi ou une norme conventionnelle.

6 C. trav., art. L. 2323-4 anc. (C. trav., art. L. 2312-15 nouv.).

7 C’est ce qui ressort, en creux, des textes cités à la note précédente. Il convient donc de distinguer la situation dans laquelle les éléments d’information sont absents et celle dans laquelle ils sont insuffisants. Une situation intermédiaire peut exister, lorsque l’information est, à ce point, lacunaire qu’elle doit être analysée comme une absence d’information.