Après plusieurs mandats de représentants du personnel, comment relancer sa carrière professionnelle et tenter de faire fructifier les savoir-faire acquis ? Vingt et un militants ont participé à une expérimentation menée par l’Agence de la formation professionnelle pour adultes (Afpa) en Pays-de-la-Loire, aujourd’hui étendue à tout le territoire. Témoignages.

Prévoir l’étape d’après n’est facile pour aucun salarié. Et moins encore pour les élus du personnel et les mandataires syndicaux qui consacrent tout ou partie de leur activité professionnelle à représenter leurs collègues dans les instances ou dans des sections. Le sujet est pourtant brûlant. Avec la mise en place progressive des comités sociaux et économiques (CSE), on estime en effet que 200.000 à 250.000 mandats vont disparaître. De surcroit, ceux qui conservent leurs fonctions ont désormais interdiction de faire plus de trois mandats successifs… Au bout de 12 ans, il faudra donc impérativement laisser la place.

Pour préparer cette nouvelle étape de carrière, les syndicalistes peuvent désormais s’appuyer sur un dispositif national piloté par l’Afpa, l’agence nationale pour la formation professionnelle des adultes. L’organisme a en effet été désigné par le ministère du Travail pour mettre en musique la validation des acquis de l’expérience syndicale. Un principe acté dans la loi Rebsamen de 2015, mais qui a nécessité la publication de deux arrêtés ministériels au printemps 2018 pour devenir opérationnel. C’est aujourd’hui chose faite. Depuis le début de l’année 2019, l’Afpa organise dans toutes les régions de France des sessions d’information pour inciter les élus en fin de mandat à s’inscrire dans la démarche de certification des compétences acquises dans l’exercice de leur activité militante.Le test réalisé dans les Pays-de-la-Loire

L’an dernier, les Pays-de-la-Loire ont servi de région test. Au printemps puis à l’automne 2018, deux sessions y ont été organisées pour expérimenter le dispositif. Parmi les 21 « cobayes » qui se sont lancés dans l’aventure, Pascal Launay. Technicien spécialisé dans l’activité porcine, ce militant CFDT de 50 ans cumule actuellement les mandats dans et hors la coopérative agroalimentaire qui l’emploie. « J’ai quitté progressivement mon métier d’origine car j’avais le sentiment d’en avoir fait le tour, confie-t-il. Mais comme je ne veux pas faire le mandat de trop, j’ai décidé de préparer ma troisième carrière professionnelle ». Lui a porté son dévolu sur le certificat de compétences professionnelles (CCP) « encadrement et animation d’équipe ». Un choix fait par beaucoup d’élus parmi les 18 qui sont allés au bout de la démarche.

Autre candidate, Laure Goutard. Auxiliaire de vie dans une association d’aide à domicile, cette cégétiste de 41 ans s’est consacrée à l’activité syndicale, entre 2013 et 2017. Aujourd’hui en recherche d’emploi, elle tente de rebondir. « Mon projet professionnel est encore un peu flou, mais il n’est pas question que je retourne travailler dans le domaine de la santé », assène-t-elle. Son choix de départ ? Le CCP « mise en œuvre d’un service de médiation sociale ». Un projet vite abandonné, l’entretien avec la psychologue du travail ayant clairement montré l’inadéquation entre ce certificat et ses attentes. En lieu et place, la quadragénaire a opté pour le CCP « suivi de dossier social d’entreprise ». Avec l’idée de s’orienter plutôt vers un poste de gestionnaire de paie.Un projet professionnel rarement défini au départ

Des témoignages, il ressort que peu de militants ont un projet professionnel clair lorsqu’ils se lancent dans la démarche. Certains, en fin de carrière, n’ont même pas d’autre envie que de faire reconnaître, symboliquement, les savoir faire qu’ils ont développés au fil de leurs mandats. Pour la plupart, faire valider son expérience syndicale constitue une première étape. Assez fastidieuse, dans la mesure où elle consiste à rédiger – puis soutenir devant un jury – un rapport décrivant avec rigueur les compétences professionnelles acquises par l’expérience. « C’est l’occasion de prendre du recul sur soi, de faire une pause dans son quotidien. Et d’apprendre à dire « je » plutôt que « nous ». On découvre alors qu’on sait faire plein de choses, c’est très rassurant », explique Sandrine Papot. Comptable dans la plateforme de services à la personne O2, mais actuellement 100% investie dans ses mandats, cette cédétiste a validé le CCP « encadrement et animation d’équipe ». Et lorgne maintenant sur d’autres formations, telles le master « négociations et relations sociales » de l’université Paris-Dauphine.Je ne me suis pas fait que des amis. Avec les mêmes dirigeants dans l’entreprise, je n’ai aucune chance d’évoluer 

De l’avis général, obtenir l’un des six CCP ne peut constituer un aboutissement dans le projet de réorientation. Rien que pour obtenir un titre professionnel en bonne et due forme, encore faut-il valider un ou deux autres CCP, cette fois-ci en retournant dans des dispositifs de formation plus classiques, avec des heures de cours. Dans une telle démarche, le soutien ou non de l’employeur fait une énorme différence. « Moi, j’ai toujours été droit par rapport à mes convictions, je ne me suis pas fait que des amis. Tant que certains dirigeants seront en place, je n’ai quasiment aucune chance de pouvoir évoluer dans mon entreprise », explique Romain*, soudeur et secrétaire CGT du CE d’un sous-traitant de la métallurgie de Loire atlantique. Titulaire du CCP « encadrement et animation d’équipe » depuis dix mois, ce trentenaire n’en a toujours pas informé son employeur. Pour lui, difficile d’espérer valoriser en interne les savoir-faire développés dans l’action syndicale.Avec le soutien de ma direction, je vais pouvoir rejoindre le service commercial 

Des difficultés que vont rencontrer beaucoup de représentants du personnel dans leur réorientation professionnelle. Mais pas Philippe Michaud. Trésorier du CE de Fleury-Michon, ce militant CFDT peut lui compter sur l’appui de son employeur pour s’inventer une nouvelle carrière. Titulaire du CCP « prospection et négociation commerciale » depuis juillet 2018, il a enchainé sur un second CCP, obtenu via le Greta de La Roche-sur-Yon, pour décrocher le titre professionnel de « négociateur technico-commercial ». Un sésame qui va lui permettre de rejoindre le service commercial de son entreprise dans quelques semaines. « Il faut d’abord de la détermination et de la volonté personnelle pour sortir de son confort, insiste l’intéressé. Mais avoir le soutien de sa direction et des perspectives internes de repositionnement, c’est un énorme atout ». De quoi faire du syndicaliste un parfait ambassadeur du dispositif naissant.

(*) Le prénom a été modifié

Certification, mode d’emploi
Depuis le début de l’année 2019, l’Afpa, l’agence nationale pour la formation professionnelle des adultes, organise des réunions d’information collective dans toute la France pour présenter son dispositif d’accompagnement à la certification des compétence acquises dans le cadre d’un mandat (lire aussi notre article du 27/6/2018).Peuvent en bénéficier tous ceux qui exercent, ou ont exercé, des fonctions de représentation du personnel. Pour s’y inscrire, il suffit de s’adresser au préalable au référent de l’Afpa dans sa région. Toute les dates et coordonnées sont accessibles sur le web en cliquant ici.Pour en savoir plus sur le dispositif, le ministère du Travail a également édité un guide électronique très pédagogique, que vous pouvez consulter et télécharger en cliquant ici.

Source – Actuel CE