L’utilisation du numérique continue de se généraliser dans le monde du travail (voir encadré). La Dares (direction de l’animation et de la recherche et des statistiques du ministère du Travail), en utilisant les données de l’enquête Conditions de travail, a voulu savoir si ces outils améliorent les conditions de travail ou au contraire exposent leurs utilisateurs à des RPS (risques psychosociaux). Dans son étude présentée le 27 juin 2018, l’institut de statistiques ne tranche pas.
L’œuf ou la poule
Si la Dares n’établit pas de lien de causalité, c’est d’abord parce que « selon la stratégie de l’entreprise et le mode d’organisation qui en découle, un même outil numérique peut avoir un effet positif ou négatif sur les conditions de travail« . Par exemple, un même outil peut tout aussi bien être utilisé pour améliorer la collaboration que pour contrôler l’activité. Ensuite, « il est difficile de séparer ce qui vient des outils numériques de ce qui vient de l’organisation« , remarque Amélie Mauroux, auteure de l’étude.
Le numérique peut être la cause ou le symptôme d’une dégradation des conditions de travail. De plus, la Dares a établi cinq grands types d’utilisateurs (en fonction de la durée d’utilisation, entre autres), et des professions sont sur-représentées dans ces catégories. Par conséquent, difficile de savoir si les RPS que l’on retrouve dans ces groupes sont liés à l’utilisation du numérique ou aux autres caractéristiques de la profession.
Charge mentale élevée mais autonomie
« Il s’agit d’une typologie utile pour la prévention des risques, pour inciter les préventeurs à aller voir derrière l’outil, pour savoir si la charge de travail est due à l’ordinateur ou à la procédure, par exemple, met en avant Amélie Mauroux. Chaque mode d’usage est révélateur de contextes de travail et d’exposition à des risques professionnels spécifiques. Sans que l’on ait pu établir de lien de cause à effet direct, l’étude montre une corrélation ». Alors qu’en est-il ? La Dares a regardé les contraintes physiques, les horaires, le rythme de travail, la charge de travail, le sentiment d’urgence, l’autonomie, la conciliation entre vie privée et vie professionnelle…
De manière générale, l’usage de ces outils est corrélé à une charge de travail et une charge mentale importantes et un débordement du travail sur la sphère privée, mais est contrebalancé par une plus grande autonomie et un sentiment de reconnaissance professionnelle. Plus dans le détail, les conditions de travail varient selon que les outils numériques sont connectés ou non, qu’ils sont utilisés dans l’entreprise ou à distance, et en fonction de la durée de leur utilisation dans la journée. En moyenne les salariés équipés de matériel ou d’applications informatiques les utilisent 4,3 heures par jour.
Les maux des deux extrêmes
Au-delà de la figure du cadre hyper-connecté et débordé, émergent d’autres types d’utilisateurs qui sont aussi sous tension : les non connectés et les sédentaires. Les premiers sont les 6,5 % des salariés qui, en 2013, utilisaient des outils numériques mais non connectés, c’est-à-dire sans messagerie professionnelle, internet ou intranet. Ce sont surtout des employés non qualifiés et des ouvriers. Leurs conditions de travail se rapprochent plus des salariés qui n’ont aucun outil numérique que ceux qui sont équipés et connectés. Ils cumulent travail physique intense et faibles marges de manœuvre.
Les seconds sont à l’opposé : des utilisateurs intensifs d’outils numériques connectés mais sédentaires. On retrouve dans cette catégorie les employés qualifiés et les professions intermédiaires : des techniciens et cadres de la banque et assurance, des agents administratifs ou encore des techniciens de comptabilité. À l’inverse des utilisateurs d’outils mobiles, le recours au numérique est, pour les sédentaires – qu’ils aient une utilisation modérée, c’est-à-dire entre 3 et 7 heures, ou intensive, au-delà de 7 heures –, associé à une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie privée. Ils bénéficient aussi de marge de manœuvre. Néanmoins, ils déclarent avoir une charge de travail importante et manquer de reconnaissance.
Quand ils sont utilisateurs sédentaires et intensifs (13,4 % des salariés), ils ressentent davantage de pression au travail. Comme leur activité est réalisée quasi exclusivement sur un ordinateur, ils se trouvent en situation de dépendance vis-à-vis du bon fonctionnement du système informatique. Tout incident perturbe leurs rythmes de travail.
Téléphone portable
Le téléphone portable occupe une place particulière. En 2013, il est utilisé par 44,8 % des salariés, et plus particulièrement par les cadres, mais les salariés de la construction sont aussi équipés (62,3 %) parce qu’ils travaillent souvent sur des chantiers, à distance de leur entreprise. Entre 2005 et 2013, l’usage du téléphone portable a progressé de 92 % chez les employés de service à domicile. Amélie Mauroux estime que ces personnes font justement partie de celles qui vont être le plus touchées par la révolution numérique, alors qu’un effet de palier s’observera chez d’autres professions. Elle pense notamment à la télégestion qui se généralise dans ce secteur.
ENTRE 1998 ET 2013, LA PART DE SALARIÉS QUI UTILISENT DES OUTILS NUMÉRIQUES AU TRAVAIL (ORDINATEUR FIXE OU PORTABLE, MESSAGERIE, INTERNET, ACCÈS AU RÉSEAU DE L’ENTREPRISE DEPUIS SON DOMICILE) EST PASSÉE DE 51 % À 71 %.SANS GRANDE SURPRISE, LA PROPORTION VARIE SELON LA CATÉGORIE SOCIO PROFESSIONNELLE. EN 2013, ILS ÉTAIENT 35 % PARMI LES OUVRIERS ET 99 % CHEZ LES CADRES.C’EST CHEZ LES EMPLOYÉS DU COMMERCE ET DES SERVICES QUE L’UTILISATION A LE PLUS AUGMENTÉ SUR LA PÉRIODE. L’USAGE DU NUMÉRIQUE EST FORTEMENT LIÉ À L’USAGE D’INTERNET, QUI A LUI AUSSI FORTEMENT PROGRESSÉ SUR LA PÉRIODE : MOINS DE 10 % DES SALARIÉS EN 1998 CONTRE PRESQUE 50 % EN 2013. LES DIFFÉRENCES ENTRE CATÉGORIES SOCIO-PROFESSIONNELLES SONT PLUS MARQUÉES SUR LE RÉSEAU QUE SUR L’ÉQUIPEMENT. |
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