Alexis BUGADA
Professeur à l`université d`Aix-Marseille
Directeur du CDS UR 901
L’ESSENTIEL
L’employeur remplit son obligation de communiquer les pièces utiles à la consultation annuelle sur les comptes, dès lors qu’il met à disposition du CE [devenu CSE), et de son expert, les éléments de rémunérations ou concernant les fournisseurs relatifs à tannée sous contrôle et aux deux années précédentes.
Aucune consultation n’étant prévue sur les subventions versées au comité d’établissement, la contestation de leur montant est soumise aux conditions, notamment de motivation, de la procédure de référé.
EXTRAITS
Cass. soc., 25 mars 2020,n°18-22509,CSE EDF Guyane, F-PB
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 8juin 2018), statuant en la forme des référés, que le 21 janvier 2015, le comité d’établissement de Guyane de la société EDF (la société) a voté le recours à une expertise comptable confiée à la société Secafi (l’expert)pour l’assister dans l’examen des comptes 2014 et des comptes prévisionnels 2015 de l’établissement ; que le comité d’établissement a saisi le président du tribunal de grande instance le 10 mai 2016 d’une demande de communication de documents complémentaires et que l’expert est intervenu volontairement à la procédure;
[…] Sur le premier moyen pris en ses deux premières branches et le deuxième moyen, réunis :
Attendu que le comité social et économique d’établissement de Guyane de la société Électricité de France, venant aux droits du comité d’établissement de Guyane de la société Electricité de France, fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande tendant à obtenir la communication des éléments relatifs à l’évolution des rémunérations des agents de l’établissement pour les années 2009 à 2011 et des éléments relatifs aux commandes passées par la société, en précisant l’activité concernée, le domaine d’achats et le segment achats, et ce pour les 12 fournisseurs identifiés pour la période 2008 à 2011 […l
Mais attendu que la cour d’appel a décidé à bon droit qu’il résulte des dispositions des articles L. 2323-8 et R. 2323-1-5 du Code du travail, alors applicables, que l’employeur remplit son obligation de communiquer les pièces utiles à la consultation annuelle sur les comptes, dès lors qu’il met à disposition du comité d’entreprise, et par suite de l’expert désigné par ce dernier, le détail des éléments de rémunération ou des éléments concernant les fournisseurs relatifs à l’année qui fait l’objet du contrôle et aux deux années précédentes ; que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le troisième moyen, pris en ses deux premières branches :
Attendu que le comité social et économique d’établissement de Guyane de la société Electricité de France, venant aux droits du comité d’établissement de Guyane de la société Electricité de France, fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande tendant à obtenir la communication des informations relatives au calcul du budget de fonctionnement du comité pour les années 2014 et 2015 […]
Mais attendu que pour rejeter la demande de communication de documents, la cour d’appel a, sans dénaturation, exactement retenu qu’aucune consultation n’étant prévue sur le montant des subventions versées chaque année au comité d’établisse ment, la contestation de ce montant supposait, dans le cadre d’une procédure en référé, que les conditions prévues par les articles 808 et 809 du Code de procédure civile soient remplies, ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque la demande a été formée à l’occasion de la consultation sur les comptes annuels de la société sans que soient invoqués de motifs précis à l’appui de la demande ; que le moyen n’est pas fondé;
Par ces motifs : rejette le pourvoi ; […]
NOTE
On sait que les membres élus du comité d’entreprise ou d’établissement (devenu CSE) peuvent demander en justice les documents utiles pour que le comité rende un avis éclairé (C. trav., art. L. 2323-3 anc. ; C. trav., art. L. 2312-16 nouv.).
Il s’agit alors, dans des délais contraints, de saisir le président du TGI statuant en la forme des référés (aujourd’hui le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond [CPC, art. 839I]). Celui-ci va ordonner à l’employeur de communiquer les éléments manquants lorsque les demandeurs démontrent que le comité ne dispose pas d’éléments suffisants pour rendre utilement son avis. Pour ce faire, le juge peut prolonger le délai de consultation ou, désormais, ordonner une nouvelle consultation (avec un nouveau délai)1. Naturellement, cette demande de communication forcée peut être formulée alors que, concomitamment, un expert a été désigné comme en l’espèce. Le litige concerne ici un comité d’établissement d’EDF (devenu CSE d’établissement), étant précisé que l’expert est intervenu à la procédure pour appuyer la demande du CSE. L’intervention étant liée aux intérêts à défendre dans le cadre de sa mission, la solution retenue le concerne au même titre que le CSE.
En réaction aux résistances patronales, la jurisprudence a plutôt tendance à garantir largement l’accès aux documents et informations utiles. Dans ce contexte, l’arrêt rapporté contraste. Il traite des éléments que peut – ou plutôt ne peut pas – obtenir le comité, lorsqu’il exerce son action dans le cadre d’une consultation récurrente, en appui d’une expertise comptable décidée par ses membres. La Cour de cassation va poser une limite temporelle en se référant aux documents annuels versés obligatoirement dans la base de données économiques et sociales (BDES) (C. trav., art. L. 2323-8 anc.;
- trav., art. L. 2312-18 nouv.). En l’occurrence, la demande était formée à l’occasion de la consultation des comptes annuels (situation économique et financière de l’entreprise). Elle visait à obtenir plus de documents que l’employeur ne doit déjà en fournir dans la BDES au titre de la consultation annuelle, puisqu’il s’agissait de remonter sur près de 6 années. Elle tendait aussi, par la même occasion, à la production d’informations relatives au budget de fonctionnement du CSE d’établissement. La démarche était habile. Il s’agissait de déployer ces demandes hétérogènes sous couvert de l’unité d’un même exercice budgétaire tout en se mettant dans le sillage du droit d’accès à « toutes » les informations utiles à la mission de l’expert-comptable. D’ailleurs, ce dernier intervenait à l’instance (v. supra) se mettant, à son tour, dans le sillage de l’action du CSE.
Le traitement de la difficulté repose, du point de vue judiciaire, sur la conception du droit d’accès aux documents complémentaires. Sous réserve classique de l’abus, doit-elle être maximaliste et sans autre limite que celle de l’objet de la consultation et de la mission qui en découle ? La Cour de cassation va choisir ici la voie intermédiaire, en s’appuyant sur des arguments réglementaires et procéduraux riches d’enseignements. Elle se révèle légaliste dans l’appréhension du droit d’accès aux informations pertinentes. C’est qu’en effet, la haute juridiction invite les juges à vérifier que la demande s’inscrit bien dans le cadre d’une consultation prévue par la loi (II), sans qu’il y ait lieu d’imposer une production qui dépasse ce qui est déjà organisé par la BDES, du moins s’agissant de la consultation en cause (consultation relative aux comptes annuels) (I). Les deux problèmes sont distincts. On relèvera, en l’espèce, que la consultation dans l’examen des comptes portait sur l’année 2014 (ainsi que sur les comptes prévisionnels 2015) et que la demande relative à la production d’information relative au calcul du budget de fonctionnement portait sur ces mêmes années (2014-2015). Ces deux demandes distinctes, relatives aux mêmes comptes, ont été formées le 10 mai 2016 devant le président du TGI statuant en la forme des référés. La Cour de cassation approuve finalement la cour d’appel, ayant statué selon la même procédure, d’avoir débouté les demandeurs à Faction. Le pourvoi est donc rejeté.
- Consultation récurrente sur les comptes et documents sortant du périmètre de la BDES
L’apport de la solution est notable. La demande de communication portait sur les éléments relatifs à l’évolution des rémunérations des agents de l’établissement pour les années 2009 à 2011. Elle allait même au-delà, puisqu’étaient aussi sollicités des éléments relatifs aux commandes passées par la société, devant préciser l’activité concernée, le domaine d’achats et le segment des achats, et ce pour les 12 fournisseurs identifiés pour la période 2008-2011. Soit, au total, un bond temporel de 6 années concernant une documentation massive. Pour prononcer le rejet, la Cour de cassation se fonde alors sur le contenu réglementaire de la BDES, notamment en ce qu’il doit comprendre l’ensemble des éléments de la rémunération des salariés. On sait que le texte réglementaire d’application (C. trav., art. R. 2323-1-5 anc. ; C. trav., art. R. 2312-10 nouv.) indique que, sous réserve d’aménagement conventionnel, les informations y figurant portent sur l’année en cours, sur les deux années précédentes, et telles qu’elles peuvent être envisagées, sur les trois années suivantes. La Cour de cassation s’en tient à ce dispositif réglementaire. Elle en déduit que « l’employeur remplit son obligation de communiquer les pièces utiles à la consultation annuelle sur les comptes, dès lors qu’il met à disposition du comité d’entreprise, et par suite de l’expert désigné par ce dernier, le détail des éléments de rémunération ou des éléments concernant les fournisseurs relatifs à l’année qui fait l’objet du contrôle et aux deux années précédentes ». Par suite, elle n’entend pas satisfaire des demandes qui iraient au-delà de ce que prévoit la règlementation BDES rapportée à cette consultation récurrente.
D’une certaine manière, cette exigence temporelle limite les remontées dans le temps, quand bien même l’expert-comptable intervient au soutien de la demande et qu’il estimerait ces informations nécessaires2. À s’en tenir aux informations versées dans la BDES, s’agissant de la consultation récurrente relative à la situation économique de l’entreprise, il ne pouvait donc être demandé ces informations en-deçà de l’année 2012. La solution est intéressante parce qu’il s’en déduit deux choses. D’une part, le contenu réglementaire de la BDES limite le pouvoir d’appréciation du juge mais aussi en creux, celui de l’expert-comptable. Dans ce cadre précis, il n’y a plus lieu de caractériser le caractère excessif ou abusif de la demande. Il revient d’emblée à l’employeur de satisfaire à ses obligations réglementaires (sous le contrôle du juge). D’autre part, le contenu de la BDES, s’il est respecté3, apporte une certaine prévisibilité dans le contentieux de la communication des informations utiles aux consultations du CSE et aux missions de l’expert-comptable. Faut-il y voir nécessairement le repli du droit d’accès à l’information ? Pas nécessairement dès lors que la BDES est correctement alimentée et que la mise à disposition de ces informations au CSE induit celle à l’expert-comptable comme l’indique l’arrêt rapporté4. Du reste, la consultation en cause étant récurrente, cela responsabilise le CSE dès lors que l’employeur a été diligent dans ses mises à jour.
- Documents relatifs au calcul du budget de fonctionnement du CSE étrangers à la consultation récurrente sur les comptes
S’agissant des documents relatifs au calcul du budget de fonctionnement du CSE, la haute juridiction considère qu’une telle demande ne peut se rattacher directement à la consultation récurrente objet du litige. Et c’est bien cette consultation qui ouvre le droit d’accès à la production de documents par le président du TGI statuant en la forme des référés. La Cour ne nie certes pas le droit de contester le montant du budget de fonctionnement (ce qui comprend la discussion sur ses modalités de calcul). Cependant la procédure accélérée sur le fond n’est pas organisée par les textes qui ne visent que les actions liées à l’exercice des attributions consultatives du CSE. Or, aucune consultation préalable n’est en effet prévue sur le montant des subventions versées chaque année au comité d’établissement5. La loi ne vise, s’agissant des consultations récurrentes, que celles relatives aux orientations stratégiques, à la situation économique et financière de l’entreprise et, enfin, à la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi (C. trav., art. L. 2323-6 anc. ; C. trav., art. L. 2312-17 nouv.). Cette question n’est pas expressément abordée sous l’angle des consultations spécifiques (C. trav., art. L. 2312-37), ni sous celui plus évasif encore de ses attributions générales (C. trav., art. L. 2312-8), ce qui ne semble d’ailleurs pas avoir fait l’objet d’une discussion fournie devant les juges. La haute juridiction nia donc pas voulu, en l’espèce, détourner la consultation sur la situation économique de son objet pour en déduire des incidences sur le calcul du budget de fonctionnement du CSE. Même habilement tissée, la « ficelle » procédurale eût été épaisse. Il s’en déduit une distinction entre le contentieux relatif aux consultations portant sur la gestion et la bonne marche de l’entreprise et celui relatif aux droits financiers propres au CSE. Voilà pourquoi l’affaire, reliquat des disputes relatives au « compte 641 », aurait dû relever soit du principal6 soit du référé ordinaire. Dans ce cas, il eût fallu avancer sur un motif précis à l’appui de la demande de communication, sous couvert des articles 808 et 809 du Code de procédure civile (alors applicables)7. En lisant l’arrêt, on peut d’ailleurs penser que si la demande avait été mieux formée, le juge statuant en la forme des référés, aurait peut-être pu basculer sur la procédure provisoire. C’est une interprétation possible car l’attendu présente ici une ambiguïté qui mériterait d’autres approfondissements. Ce point procédural nécessitera d’ailleurs confirmation dans le cadre de la nouvelle procédure accélérée au fond. Une telle pratique aurait l’avantage d’une articulation procédurale cohérente pour favoriser la bascule au sein des procédures rapides. Pour conclure ici, on retiendra que seule une question relevant des attributions consultatives du CSE peut bénéficier de la procédure accélérée au fond (anciennement, juge statuant en la forme des référés) dès lors qu’un texte le prévoit. Pour le reste, le référé reste accessible à condition que la demande soit motivée par l’urgence, la prévention du dommage imminent, la cessation du trouble illicite ou l’exécution d’une obligation non sérieusement contestable. La Cour de cassation n’a donc pas voulu donner définitivement accès à des informations qui n’étaient pas directement reliées à la consultation récurrente objet du litige. Elle lia fait après avoir vérifié qu’au provisoire, la cour d’appel avait bien caractérisé que la demande n’était pas fondée faute d’avoir été étayée. Le message consiste donc à bien distinguer les conditions d’accès au référé d’une part, et à la procédure accélérée au fond d’autre part, car elles conditionnent différemment les exigences qui président à la communication forcée des informations sollicitées.
1 Cass. soc., 26 févr. 2020, n” 18-22759 : BIS mai 2020, n° 120w0, note Bugada A.
2 Le juge exerçant traditionnellement un contrôle restreint sur cette appréciation par l’expert : Cass. soc., 9 nov. 2016, n° 15-16879 : BIS mars 2017, n° 116d7, p. 165, note Géniaut B. – Cass. soc., 13 mai 2014, n° 12-25544 : BIS sept. 2014, n° 1 12g6, p. 499, note Granier T. et Bugada A.
3 Les dispositions relatives à la BDES sont particulièrement denses et précises. De plus, les éléments d’informations doivent être régulièrement mis à jour, dans le respect des périodicités des consultations (C. trav., art. R. 2312-11).
4 Après avoir visé les textes relatifs à la BDES, la Cour de cassation indique clairement que «l’employeur remplit son obligation de communiquer les pièces utiles à la consultation annuelle sur les comptes, dès lors qu’il met à disposition du comité d’entreprise, et par suite de l’expert désigné par ce dernier, le détail des éléments (…) »
5 À moins qu’un accord collectif ne l’organise expressément.
6 S’agissant de la contestation relative au versement de la subvention du CSE, la prescription quinquennale ne court qu’à compter de la communication de la part de l’employeur des éléments nécessaires à l’appréciation de ses droits : Cass.soc., 1er févr. 2011, n° 10-30160 : ICP S 2011, note Guyot H. Sur la question, v. Teyssié B., Drait du rmi/ail – Relariam collectives, 12° éd., 2020, LexisNexis,
n° 652.
7 Devenus CPC, art. 834 et CPC, art. 835.