Dans deux arrêts du 19 avril 2023, la Cour de cassation réaffirme que l’expert-comptable peut réclamer la communication d’informations qui n’ont pas à figurer dans la base de données économiques, sociales et environnementales, la BDESE.

Il n’y a pas si longtemps, il a été jugé que l’expert-comptable assistant le CSE dans le cadre dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, l’emploi et les conditions de travail pouvait réclamer la communication d’informations qui n’ont pas à figurer dans la base de données économiques, sociales et environnementales (Cass. soc., 18 mai 2022, n° 20-21. 444, voir notre article du 7 juin 2022). Deux arrêts du 19 avril 2023 de la Cour de cassation du 19 avril 2023 réaffirment le principe.

Première affaire : l’expert du CSE réclame des fichiers contenant des informations individuelles

Tout commence, dans la première affaire (arrêt n° 21-24.208), par l’ouverture le 23 janvier 2020 d’une procédure d’information/consultation du CSE de la société GTM Sud sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi. A cette occasion, le comité décide de se faire assister par un expert-comptable.

Sans attendre, le cabinet Syndex désigné pour cette mission transmet au président et au secrétaire du CSE une demande d’informations et de documents nécessaires à la réalisation de l’expertise. Le 5 février 2020, l’expert est obligé de solliciter à nouveau la communication de ces éléments. Pour en finir, lors de la réunion du comité du 18 juin 2020, la direction de GTM Sud répond qu’elle « considérait les pièces déjà transmises comme nécessaires et suffisantes à l’expertise sur la politique sociale de l’entreprise ».

Le CSE et son expert-comptable décident alors de porter l’affaire en justice pour obtenir la communication de documents complémentaires et la prolongation du délai de consultation.

En appel, la société est condamnée à transmettre à l’expert une série de documents. Il est également décidé de donner au CSE un délai supplémentaire de 2 mois pour rendre son avis consultatif sur la politique sociale.

Précisons ici que, parmi les informations dont la communication a été ordonnée, on peut notamment citer : le suivi mensuel des effectifs 2019 ; le livre de paie détaillant globalement toutes les rubriques des rémunérations versées au personnel en 2018 et 2019 par catégorie de personnel ; pour les cadres et ETAM, les fichiers électroniques de rémunérations avec, notamment, le matricule, le sexe, la date de naissance, la date d’entrée dans l’effectif, l’intitulé précis du poste, la nature du contrat de travail, etc. Quant aux rémunérations, il est imposé qu’elles soient détaillées : salaire de base mensuel après augmentation annuelle, éventuels 13e mois, primes de vacances, primes de fin d’année, primes d’ancienneté, primes d’objectifs ou primes commerciales, primes exceptionnelles et avantages en nature.

L’affaire arrive en cassation.

La défense de l’employeur

Dans son pourvoi, la société GTM Sud fait d’abord valoir qu’elle avait bien mis à la disposition du CSE et de Syndex l’ensemble des éléments devant figurer dans la BDES, et notamment les rémunérations moyennes ou médianes par sexe, catégorie professionnelle, niveau ou coefficient hiérarchique, tranche d’âge, ainsi que les données collectives sur l’évolution des rémunérations salariales, telles que définies à l’article R. 2312-9 du code du travail. Elle n’était donc pas tenue de fournir des informations individuelles sur la rémunération de chacun des salariés. Pour GTM Sud, la demande de l’expert tendant à obtenir des « fichiers électroniques de rémunération » pour les cadres et Etam, comportant des informations individuelles sur chaque salarié et sa rémunération, excédait ce qui était nécessaire à l’accomplissement de sa mission.

L’autre argument invoqué par GTM Sud consistait à faire valoir que l’expert ne peut pas exiger la production de documents qui n’existent pas et dont l’établissement n’est pas obligatoire. En conséquence, l’employeur ne saurait être tenu de constituer pour les seuls besoins de l’expertise les fichiers électroniques réclamés par l’expert-comptable, en procédant à sa place à un retraitement de données issues de différents documents légaux, tels que bulletins de paie, registres du personnel et livres de paie. Finalement, pour GTM Sud, « les fichiers électroniques dont le cabinet Syndex réclamait la communication … n’existaient pas et ne correspondaient à aucun document dont la confection est légalement obligatoire pour l’employeur ». Il revenait donc bien à l’expert de les établir à partir des documents déjà fournis.

Dans son arrêt du 19 avril 2023, la Cour de cassation rejette le pourvoi de GTM Sud et confirme ainsi sa condamnation à fournir les éléments réclamés par Syndex.

Une communication jugée bien nécessaire par la Cour de cassation

D’après les juges, il est exact que « l’expert-comptable ne peut pas exiger la production de documents n’existant pas et dont l’établissement n’est pas obligatoire pour l’entreprise ». Or, d’après ce qu’avait pu constater la cour d’appel, les fichiers électroniques de rémunérations des ETAM et des cadres sollicités par l’expert existaient bien. Pour preuve notamment, GTM Sud avait indiqué par mail transmettre les éléments sollicités pour les ouvriers et précisé qu’elle transmettrait, dans un deuxième temps, les documents concernant les ETAM et cadres.

Par ailleurs, comme l’avait relevé la cour d’appel, la communication pour l’ensemble des salariés du suivi mensuel des effectifs 2019, du livre de paie détaillant globalement toutes les rubriques des rémunérations durant les années 2018 et 2019, par catégorie de personnel, ainsi que, pour les salariés cadres et ETAM, des fichiers électroniques de rémunérations n’excédait pas la mission légale de l’expert désigné. Cette communication était bien nécessaire à l’exercice de la mission d’expertise, peu important que les informations demandées ne soient pas au nombre de celles devant figurer dans la base de données économiques et sociales.

L’expert-comptable doit pouvoir accéder aux informations brutes, sans retraitement de la part de l’entreprise

Deuxième affaire : l’expert demande des données brutes pour son analyse sociale

Dans la seconde affaire (arrêt n° 21-25.563), il a été jugé que la production des données brutes réclamées par l’expert s’avérait nécessaire à la réalisation de sa mission d’analyse de la politique sociale de l’entreprise, notamment sur l’évolution des salaires et sur les informations et les indicateurs chiffrés sur la situation comparée des femmes et des hommes pour chacune des catégories professionnelles de l’entreprise. Pour les juges, « les informations retraitées et consolidées, seules produites par la société, étaient susceptibles de fausser l’analyse de l’expert ».

D’où la condamnation de l’entreprise à transmettre à l’expert-comptable l’extraction d’informations brutes, individuelles et anonymisées sur la totalité de l’effectif, y compris les cadres supérieurs.

 

Frédéric Aouate