Tout commence par une mauvaise nouvelle pour les salariés de la société Amadeus France, spécialisée dans la gestion technologique des réservations pour le tourisme ! Le 4 juin 2021, l’employeur annonce la fin des titres-restaurant dans l’entreprise. La mesure doit prendre effet le 1er août suivant.
Quelques mois plus tard, par délibération du 19 octobre 2021, le CSE exprime son souhait de « reprendre à son compte, en tant qu’activité sociale et culturelle (ASC), la gestion des prestations de restauration proposées aux salariés, dont l’émission des titres-restaurant ». Face au refus de la direction de lui transférer la gestion des titres-restaurant, le CSE porte l’affaire en justice. Il réclame le paiement d’une certaine somme, plusieurs milliers d’euros, au titre du financement des titres-restaurant pour les années passées.
Rappelons que le CSE dispose en effet d’un monopole de gestion des activités sociales et culturelles. A ce titre, il peut revendiquer la gestion d’une activité exercée par l’employeur et réclamer le transfert du budget correspondant. Mais attention, cela ne peut marcher que si l’activité en question peut être qualifiée d’activité sociale et culturelle.
Pour convaincre le tribunal judiciaire de Nanterre qu’il est dans son bon droit, le CSE fait valoir que l’émission de titres-restaurant constitue bien une activité sociale et culturelle dès lors qu’elle est mise en place de façon facultative pour améliorer les conditions de travail des salariés et que leur attribution ne vient pas en contrepartie du travail effectué.
Imparable ! L’employeur aura beau prétendre que l’émission de ces titres ne peut être regardée comme une ASC « dès lors qu’elle n’est pas listée comme telle par le code du travail et qu’elle est parfois obligatoire », c’est bien le CSE qui a raison dans l’histoire.
En effet, comme le rappelle le tribunal judiciaire de Nanterre, la liste des activités sociales et culturelles figurant à l’article R. 2312-35 du code du travail n’est pas limitative. Donc, le fait que les titres-restaurant n’y figurent pas n’empêche pas qu’ils puissent être considérés comme une activité sociale et culturelle dès lors que leur émission ne constitue pas une obligation pour l’employeur.
► Remarque Pour être qualifiée d’activité sociale et culturelle (ASC), une activité ne doit pas être obligatoire pour l’employeur. Dès qu’un avantage social est obligatoire en application de la loi, il ne peut pas être qualifiée d’ASC. Cela vaut pour les obligations résultant de la convention collective (Cass. soc., 11 mai 1988, n° 84-10.617). En revanche, les avantages sociaux issus d’un usage d’entreprise ou d’un engagement unilatéral de l’employeur doivent pouvoir être qualifiés d’ASC. |
Pour les juges, lorsque les titres-restaurant sont remis aux salariés en considération des frais qu’ils exposent pour les besoins de leur activité professionnelle, et notamment pour couvrir tout ou partie des frais de restauration qu’ils engagent en l’absence de restaurant d’entreprise, leur émission constitue une obligation pour l’employeur. Partant de là, ils ne peuvent pas être considérés comme une ASC. En revanche, s’ils sont remis aux salariés en dehors de toute obligation de l’employeur de les indemniser de leurs frais professionnels, on doit les voir comme servant à améliorer les conditions de bien-être au travail. Ils doivent alors être considérés comme une activité sociale et culturelle, dont le CSE peut revendiquer la gestion.
Dans cette affaire, les titres-restaurant étaient émis, alors même que les salariés d’Amadeus France avaient accès à un restaurant d’entreprise. N’étant qu’une faculté pour l’employeur, ils devaient dès lors être regardés comme participant des activités sociales et culturelles mises en place au sein de l’entreprise.
Sur le papier, le CSE peut effectivement revendiquer la gestion des ASC existantes jusque-là gérées par l’employeur et réclamer les sommes qui y étaient affectées. En pratique, il faut parfois y réfléchir à deux fois. Le jeu en vaut-il la chandelle, au regard notamment de la somme d’argent que le CSE va récupérer. Si les élus ont l’intention de poursuivre l’activité, il faut aussi se poser la question de savoir si sa gestion ne va pas être trop complexe, trop contraignante, trop chronophage. L’employeur, obligé de rétrocéder au CSE le budget affecté à l’activité revendiquée, pourrait aussi se braquer. Sachant qu’il a au-dessus de lui cette épée de Damoclès, il pourrait à l’avenir s’en tenir au strict minimum en termes d’avantages sociaux !