Étant assimilées à des heures normalement travaillées, les heures de délégation doivent être prises en compte pour calculer le temps de pause dont bénéficie tout salarié après un certain temps passé à son poste de travail.
Le principe est sacré : le temps nécessaire à l’exercice des fonctions de représentant du personnel est de plein droit considéré comme temps de travail et payé à l’échéance normale. Cela signifie que l’intéressé ne doit subir aucune perte de salaire liée à l’utilisation de ses heures de délégation, celles-ci étant assimilées à du temps de travail effectif, mais aussi qu’il ne doit être privé d’aucun avantage dont il aurait bénéficié s’il n’était pas parti en délégation. En d’autres termes, c’est comme si le représentant du personnel n’avait pas bougé de son poste de travail. C’est donc en toute logique que les juges de la cour d’appel de Versailles décident, dans un arrêt du 5 décembre 2019, que l’employeur doit bien tenir compte des heures de délégation prises par le représentant du personnel pour déterminer s’il a droit ou non à une pause rémunérée octroyée aux salariés après un certain nombre d’heures de travail.
Un avertissement infligée à une membre du CHSCT
Dans cette affaire, un engagement unilatéral de l’employeur permet aux conseillers clientèle du « Centre de Relation Client » (CRC) d’une grande chaîne de TV cryptée de bénéficier d’une pause rémunérée de 50 minutes après un certain temps passé à prendre des appels téléphoniques. Mme X, engagée en qualité de télénégociateur et membre du CHSCT de l’époque, se voit infliger un avertissement en raison d’un « dépassement systématique et régulier du temps de pause hebdomadaire maximal autorisé ». Devant les prud’hommes, l’intéressée fait valoir que l’exclusion des heures de délégation dans l’assiette de calcul du temps de pause caractérise une mesure discriminatoire ». Le conseil la suit : sanction annulée et condamnation de l’entreprise à verser des dommages et intérêts pour discrimination syndicale.
La justification de l’employeur
Devant la cour d’appel, l’employeur tente de justifier la sanction en faisant, en résumé, valoir que la pause octroyée aux conseillers clientèle était une contrepartie à l’activité productive du salarié, et plus particulièrement à la pénibilité liée à la prise d’appels téléphoniques. La salariée n’étant pas amenée à prendre d’appels durant son temps de délégation, les heures de délégation n’avaient pas donc à être prises en compte pour calculer le temps de travail déclenchant le temps de pause. En décider autrement serait même revenu à « instaurer une discrimination à rebours » à son bénéfice, c’est-à-dire à lui octroyer par rapport à ses collègues l’avantage d’une pause, alors que les conditions requises pour pouvoir en bénéficier n’étaient pas remplies
La décision de la cour d’appel
Cette argumentation est rejetée par les juges, qui confirment l’annulation de la sanction et la condamnation à dommages et intérêts pour discrimination syndicale. Ainsi, il est jugé que « le fait pour l’employeur de réserver le bénéfice du temps de pause à l’exercice de l’activité métier a pour effet d’exclure du bénéfice de ce dispositif, ou de leur en limiter le bénéfice, aux représentants du personnel, en raison de l’exercice de leurs missions, ce qui constitue une mesure discriminatoire à leur encontre ». En conséquence, lorsque l’octroi d’une pause rémunérée à partir d’un certain nombre d’heures de travail accompli est prévu, ce temps de pause rémunéré doit également bénéficier au représentant du personnel pour le temps consacré à l’exercice de son mandat. Il n’en résulte aucune discrimination à rebours à son bénéfice, dès lors que la loi assimile le temps consacré à l’exercice des fonctions à du temps de travail effectif et que cette mesure a pour effet de traiter les salariés protégés exerçant leur mission comme les autres salariés. Moralité : l’employeur ne pouvait ni exclure du calcul du temps de pause de la salariée le temps qu’elle a consacré à l’exercice de son mandat, ni la sanctionner pour un dépassement de son temps de pause calculé sur cette base.
► Remarque : la chambre sociale de la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de décider, lorsque la convention collective prévoit au bénéfice des salariés travaillant 8 heures consécutives de jour ou de nuit une pause rémunérée de 30 minutes, que le représentant du personnel a droit à sa demi-heure de pause rémunérée dès lors qu’il a effectué 8 heures consécutives de délégation ou de travail (Cass. soc., 26 juin 2001, n° 98-46.387).