L’annonce par Emmanuel Macron de la suppression de l’Ecole nationale d’administration (ENA), au profit d’un nouvel Institut du service public (1), a relancé le débat autour du faible nombre d’enfants des milieux populaires qui accédent aux écoles les plus prestigieuses et à l’enseignement supérieur en général. Certains, comme l’économiste Thomas Piketty, estiment qu’il appartient à l’Etat non pas seulement de réformer les écoles élitistes, mais d’investir massivement dans l’université pour améliorer la qualité de l’enseignement donné au plus grand nombre.

La question se pose néanmoins de l’accès des enfants d’ouvriers, d’employés, de techniciens ou de cadres moyens aux écoles les plus prestigieuses, celles qui préparent aux plus hautes fonctions : écoles d’administration et de sciences politiques, écoles de commerce, écoles d’ingénieur, filières universitaires les plus cotées, etc. On sait que ce sont les enfants des catégories les plus diplômées, voire les enfants des parents ayant déjà fréquenté ces filières, qui ont le plus de chance d’y accéder, dans une forme de reproduction sociale, selon les mots des sociologues. Selon l’Insee, 34 % des enfants de diplômés du supérieur ont un diplôme de niveau bac + 5 voire davantage, contre seulement 5 % de ceux dont les parents sont peu ou pas diplômés. Une inégalité qu’on retrouve au niveau des catégories socioprofessionnelles : les personnes dont le père est cadre ou profession intermédiaire sont en proportion deux fois plus nombreuses à être diplômées du supérieur que les enfants d’employés ou d’ouvriers (65 % contre 31 %) et quatre fois plus nombreuses à avoir un diplôme de niveau bac + 5 (23 % contre 5 %).
Notons au passage que cette question recouvre également celle de l’accès plus difficile pour les filles à ces filières.
Le constat a été souvent fait : une des raisons de la faible proportion d’élèves issus de familles d’origine modestes dans ces écoles tient au simple fait que l’existence de ces écoles et de leurs voies d’accès, via les « prépa » par exemple, est tout bonnement ignorée de ces familles, et donc d’élèves même brillants, ou bien jugée inaccessible. En la matière, le comité social et économique peut-il avoir un rôle à jouer afin que soient accrues les chances des enfants de salariés les moins qualifiés (ouvriers, employés, manutentionnaires, etc.) de poursuivre des études supérieures ? Voici quelques pistes de réflexion et d’action possibles en vue de tenter de réduire ce déterminisme social.
Le comité gère des activités sociales et culturelles (ASC) dont la finalité, nous dit l’article R.2312-35 du code du travail, est, notamment, « l’amélioration des conditions de bien-être » des salariés, « l’utilisation des loisirs et l’organisation sportive » mais le CSE peut aussi gérer des « centres d’apprentissage et de formation professionnelle, des bibliothèques, des cercles d’études, des cours de culture générale« . Cette liste est non limitative. On sait que la Cour de cassation a établi que le CSE peut conduire une activité sociale et culturelle dès lors qu’elle est « exercée principalement au bénéfice du personnel de l’entreprise, sans discrimination, en vue d’aménager les conditions collectives d’emploi, de travail et de vie du personnel au sein de l’entreprise ». Le comité peut ainsi mener des actions pour les enfants du personnel (crèches, colonies de vacances, vacances, etc.).

Ces actions peuvent consister aussi en une forme de soutien scolaire, via l’abonnement à un service de soutien en ligne comme le proposent certaines entreprises. Le CSE peut donc déjà agir, s’il en a les moyens et s’il le souhaite, pour offrir un appui scolaire aux enfants des salariés. On sait aussi que les sociologues insistent sur le « capital culturel », ce socle de connaissances et d’habitudes culturelles qui s’avère déterminant dans la réussite scolaire et le passage des concours. Les colonies de vacances organisées par les comités en mariant des activités sportives et culturelles permettent aussi cet enrichissement. Le CSE de PSA à Mulhouse propose ainsi des séjours en Allemagne et au Royaume-Uni pour favoriser le bilinguisme des enfants des salariés, nous dit par exemple Régis Manzi, secrétaire FO du CSE, qui croise les doigts pour que ces séjours d’été ne soient pas annulés pour cause de Covid. Mais un abonnement à une presse de qualité peut donner aussi accès à un nouvel univers pour certains enfants. Des prestataires proposent même un panel d’abonnements dont les salariés peuvent profiter.
En temps ordinaire, le CSE peut organiser l’accès à des activités culturelles profitant aux enfants qui n’y auraient pas accès chez eux : découverte de musées, de musique classique, conférences historiques, etc. En temps de confinement, l’accès à des ressources virtuelles peut aussi être communiqué aux salariés (2).
Le CSE peut-il faire davantage ? On sait que rien n’interdit au CSE d’inviter un artiste à se produire devant les salariés et leurs familles : ce fut, jusqu’à ces dernières années, une pratique assez répandue lors des fêtes de fin d’année. Mais rien n’empêche non plus le CSE d’inviter une personnalité extérieure à faire une sorte de conférence pour le personnel. Ainsi, le comité peut réunir tout ou partie du personnel dans son local, ou dans un autre local si l’employeur en est d’accord, pour l’informer sur des problèmes d’actualité, sur des thématiques liées à l’environnement économique et social de l’entreprise mais aussi sur les activités sociales et culturelles (art. L.2315-26 du code du travail). Ces réunions doivent avoir lieu en dehors du temps de travail des salariés et le CSE peut y inviter des personnalités extérieures (conseillers d’orientation, personnalités du monde éducatif, responsables de grandes écoles, sociologues, universitaires, etc.). S’il s’agit de personnalités syndicales, et si la réunion a lieu dans le local du CSE, le comité n’est pas tenu de demander l’autorisation préalable de l’employeur, mais elle s’impose si le CSE invite une personnalité extérieure non syndicale (3).
Cette conférence, qu’il doit être possible d’organiser en ligne si elle se déroule hors temps de travail, pourrait porter sur le système éducatif afin de sensibiliser à ces questions le plus grand nombre de salariés : comment est organisée l’orientation scolaire en France, comment se repérer dans les différentes filières, comment obtenir une bourse ? Le CSE, s’il dispose parmi ses membres d’un bon connaisseur de ces questions, peut lui même animer cette réunion d’information des salariés, et cette fois sans devoir passer par l’autorisation de l’employeur si la réunion a lieu en dehors du temps de travail.
On peut aussi imaginer que le CSE propose à une assistante sociale d’évoquer ces sujets lors de sa permanence, voire invite une personnalité ayant su s’émanciper, c’est-à-dire ayant obtenu une situation professionnelle et sociale supérieure à celle de ses parents, à raconter ses études et son parcours. L’association Le Réseau a passé ainsi une convention avec l’école Polytechnique pour que des élèves de cette prestigieuse école républicaine interviennent dans des classes d’écoles de quartiers populaires. « Ce type de rencontres rend tout de suite bien plus visible l’existence de ces écoles que bien des discours sur les filières d’orientation », nous confie Alexandre Hascoët, directeur adjoint de Le Réseau, une association qui travaille en lien avec des services RH de grandes entreprises, et qui a pu maintenir ces échanges grâce aux visio.
Ceux des CSE qui disposent d’une bibliothèque ou d’une médiathèque peuvent mettre ce thème en avant via des panneaux d’affichage, en cherchant de la documentation du côté de l’Onisep. Il reste enfin la possibilité pour le CSE d’informer les salariés via un petit journal voire un tract en donnant quelques infos et contacts utiles.
Toutes ces questions peuvent faire l’objet d’échanges au sein d’ateliers ou d’une commission, d’où pourront naître des idées (une bourse d’informations sur les stages de 3e, des appels à témoigagnes de réussite scolaire et professionnelle, etc.).
Pour terminer, admettons que ces quelques pistes de réflexion et d’action pourront paraître éloignées des urgences du moment, les CSE étant confrontés aux incertitudes sanitaires et aux aléas de l’activité économique. Mais le CSE n’est-il pas, par vocation, un médiateur au service des salariés ?
(1) Dans son discours du 8 avril, Emmanuel Macron a indiqué que l’institut du service public sera « le creuset de la formation des cadres de l’Etat », avec « une culture commune et une formation commune ». Il s’agirait pour l’Etat d’imposer un tronc commun aux 13 grandes écoles d’administration (Ecole nationale de la magistrature, Hautes études en santé publique, Institut national des études territoriales, Ecole nationale supérieure de la police, etc.). Une ordonnance serait prise dès le mois de juin.
(2) Voir par exemple cette visite virtuelle du musée du Louvre, et ses nombreuses vidéos pédagogiques.
(3) Cette possibilité est également ouverte aux sections syndicales (voir les articles L.2142-10 et L.2142-11 du code du travail).

Source : Actuel-CE