Statuant pour la première fois sur la validité d’un accord de rupture conventionnelle collective, le Conseil d’État précise les limites de ce dispositif, qui ne peut pas être conclu dans un contexte de cessation d’activité conduisant nécessairement au licenciement des salariés.

Instaurée par l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, la rupture conventionnelle collective (RCC) permet à l’employeur de réaliser une opération de réduction d’effectifs en prévoyant, par accord collectif validé par l’administration, des suppressions d’emplois en dehors de tout licenciement et sans justifications économiques (articles L.1237-19 et suivants du code du travail).

La décision du 21 mars 2023, qui sera publié au recueil Lebon, offre une première occasion au Conseil d’Etat de se prononcer sur la validation par l’administration d’un accord de rupture conventionnelle collective. Dans le sillage de la décision de la cour administrative d’appel de Versailles du 20 octobre 2021, il confirme l’annulation de la décision de validation de l’accord et précise les limites de ce dispositif.

En l’espèce, le Direccte (devenu Dreets) avait validé un accord collectif majoritaire portant sur une rupture conventionnelle collective concernant un établissement dans lequel étaient employés 33 salariés et dont la fermeture était prévue. Un syndicat non signataire a contesté cette décision devant le juge administratif et obtenu son annulation en appel.

► L’annulation de l’accord de rupture conventionnelle collective produit des conséquences sur les ruptures individuelles de contrat de travail conclues sur le fondement de l’accord. Les salariés concernés peuvent s’en prévaloir pour saisir le conseil de prud’hommes d’une contestation de la rupture de leur contrat de travail.

L’étendue du contrôle du Dreets sur l’accord de RCC est précisée

Le Dreets saisi d’une demande de validation d’un accord de rupture conventionnelle collective effectue un contrôle dont l’étendue est délimitée par l’article L.1237-19-3 du code du travail. Il s’assure ainsi :

  •  que l’accord est conforme à l’article L.1237-19 du code du travail, c’est-à-dire, notamment, qu’il exclut tout licenciement pour atteindre l’objectif qui lui est assigné en termes de suppressions d’emplois ;
  • qu’il comporte les clauses obligatoires prévues par l’article L.1237-19-1 ;
  • qu’il contient des mesures d’accompagnement et de reclassement externe précises et concrètes ;
  • que, le cas échéant, la procédure d’information du comité social et économique a été régulière.

Le Conseil d’Etat ajoute, pour la première fois à notre connaissance, que l’administration doit également s’assurer que l’accord n’est pas entaché de vices ayant affecté les conditions de sa négociation et qui seraient de nature à l’annuler.

Dans une décision du même jour, le Conseil d’Etat apporte la même précision concernant les conditions de négociation d’un autre accord de rupture conventionnelle collective.

► Un bloc de compétences, comparable à celui applicable en matière de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), est confié au Dreets et, en cas de litige, au juge administratif par l’article L.1237-19-8 du code du travail. On relèvera que l’administration doit contrôler les vices affectant la négociation de l’accord de RCC, par exemple, la fourniture par l’employeur aux syndicats négociant l’accord d’informations erronées de nature à les inciter à conclure un accord peu favorable aux salariés. En revanche, le contrôle du consentement individuel du salarié qui adhère à l’accord de RCC relève du contrôle du juge judiciaire.

C’est le contrôle du juge administratif sur le premier point – la conformité de l’accord de RCC aux dispositions de l’article L.1237-19 du code du travail – qui était en cause ici.

L’accord prévoyait en effet qu’aucun licenciement n’interviendrait pendant sa période d’application. Les salariés faisant le choix de ne pas adhérer à l’accord de RCC n’auraient donc pas été licenciés pendant cette période. La RCC était donc, au sens strict, exclusive de tout licenciement, ce qui avait justifié le rejet du recours du syndicat en première instance, devant le tribunal administratif.

Mais, dans la mesure où, à terme, le site devait être fermé et tous les postes supprimés, la cour administrative d’appel de Versailles a donné raison au syndicat requérant : la fermeture du site ayant été décidée en amont de la conclusion de la rupture conventionnelle collective, les salariés concernés n’avaient pas été en mesure de faire un réel choix entre un départ volontaire et le maintien dans leur emploi.

La RCC peut être conclue par une entreprise en difficulté économique

Tout d’abord, le Conseil d’Etat entérine la possibilité de conclure un accord de RCC dans un contexte de difficultés économiques de l’entreprise ou d’autres situations susceptibles de justifier un licenciement économique.

► La cour administrative d’appel de Versailles, dans un arrêt du 14 mars 2019, avait déjà eu à statuer sur cette question dans un contentieux dirigé contre un des premiers accords de rupture conventionnelle collective. Elle avait jugé que des suppressions de postes pour un motif économique ne font pas obstacle à la mise en œuvre d’une rupture conventionnelle collective dès lors que le départ des salariés n’est pas contraint.

Pas de RCC dans un contexte de cessation d’activité

La suppression de tous les emplois du site exclut le recours à la RCC

La rupture du contrat de travail n’obéit pas au même régime juridique selon qu’elle est imposée par l’employeur ou décidée d’un commun accord. Un accord de RCC doit être exclusif de toute rupture imposée au salarié, comme le prévoit l’article L.1237-19 du code du travail : il doit, par nature, offrir un choix au salarié.

► Dans cette affaire, le départ des salariés était inéluctable. Le seul choix qui leur était offert était celui du mode de départ : rupture amiable dans un premier temps ou licenciement à terme, selon des modalités qui étaient encore à définir.

Le Conseil d’Etat en conclut qu’un tel accord ne peut pas être mis en œuvre dans le contexte d’une cessation d’activité de l’établissement ou de l’entreprise conduisant de manière certaine à ce que les salariés n’ayant pas opté pour le dispositif fassent l’objet d’un licenciement économique à la fin de sa période d’application.

Peu importe que, comme en l’espèce, les licenciements ne soient pas mis en œuvre pendant la période d’application de l’accord, mais reportés par l’effet d’une clause à son expiration. Pour le juge administratif, l’accord viole les dispositions de l’article L.1237-19 du code du travail.

► Pour démontrer que le projet de réorganisation de l’entreprise comportait la fermeture du site de production et le transfert des activités et de l’ensemble des salariés, le syndicat requérant s’appuyait sur une note d’information remise au comité social et économique avant la conclusion de l’accord.

La cessation d’activité de l’entreprise conduit manifestement à imposer une rupture à tous les salariés. Tous les emplois devant être supprimés, ils se voient privés de la possibilité de choisir entre un départ volontaire et le maintien dans l’emploi.

En cas de cessation d’activité de l’établissement, il convient de distinguer selon que les contrats de travail des salariés disposent ou non d’une clause de mobilité susceptible d’être mise en œuvre en vue de leur transfert vers d’autres établissements de l’entreprise. S’ils n’en contiennent pas, ce qui était le cas en l’espèce comme le relève le Conseil d’Etat, pour pouvoir fermer l’établissement, l’employeur peut se voir contraint d’engager une procédure de licenciement pour motif économique, le salarié étant alors privé de la possibilité de choisir le maintien dans l’emploi. En revanche, s’ils comportent une clause de mobilité, l’employeur est susceptible de fermer l’établissement concerné en transférant les salariés vers d’autres établissements de l’entreprise.

► Le Conseil d’Etat confirme la position prise par l’administration dans un questions-réponses du ministère du travail. Celle-ci avait indiqué que la rupture conventionnelle collective ne doit pas être proposée dans un contexte de difficultés économiques aboutissant de manière certaine à une fermeture de site, qui aurait pour effet de fausser le caractère volontaire de l’adhésion au dispositif et de ne pas permettre le maintien dans l’emploi des salariés non-candidats à un départ.

Pas de contournement des règles d’ordre public relatives au PSE

Le Conseil d’Etat reproche en l’espèce à l’employeur d’avoir contourné les règles d’ordre public relatives au licenciement économique.

L’employeur aurait dû, au vu du nombre de départs envisagés, élaborer un PSE par voie d’accord majoritaire ou de document unilatéral et respecter la procédure applicable en cas de procédure de licenciement économique. Ce PSE aurait d’ailleurs pu prévoir un plan de départs volontaires dont les modalités et le contenu, en termes de garanties pour les salariés, auraient été proches de ceux prévus par l’accord de RCC. Dans un tel cas, le PSE doit prévoir les modalités du licenciement des salariés qui n’adhèrent pas au plan de départs volontaires ou n’en remplissent pas les critères d’adhésion.

► Le Conseil d’État s’est déjà engagé sur cette voie à propos d’un projet de réorganisation qui n’aboutissait par lui-même, une fois tenu compte des départs volontaires en retraite et des autres départs volontaires, à aucune suppression d’emploi. Un PSE devait être mis en œuvre, dès lors qu’était prévu le licenciement des salariés refusant la modification de leur contrat de travail (décision du 10 octobre 2018).

Dans l’affaire jugée ici par le Conseil d’Etat, le licenciement des salariés refusant la modification de leur contrat de travail au moment de la fermeture de l’établissement n’était pas expressément envisagé, mais il était implicite.

La RCC et un projet de licenciement collectif pour motif économique sont-ils nécessairement exclusifs ? La réponse, affirmative en cas de cessation d’activité d’un établissement ou d’une entreprise, n’est pas certaine dans d’autres cas de figure. La jurisprudence du Conseil d’Etat viendra préciser comment ces dispositifs peuvent s’articuler.

► Saisie de cette question dans la perspective de l’examen d’une décision d’homologation du document unilatéral d’un PSE, la cour administrative d’appel de Paris a jugé, dans un arrêt du 14 mars 2022, qu’un accord de rupture conventionnelle collective ne fait pas obstacle à ce que l’employeur établisse et mette en œuvre un PSE, dès lors que ce dernier respecte les stipulations de l’accord qui lui sont applicables. En l’espèce, la réorganisation avait été engagée pendant la période de mise en œuvre de l’accord. 

Clément Geiger et Laurence Méchin