Les mesures des ordonnances les plus connues par les entreprises sont celles qui concernent le licenciement. Les dirigeants n’envisagent guère de renforcer la négociation d’entreprise, et les discussions sur le fonctionnement du futur comité social et économique paraissent très limitées. Tels sont les enseignements, inquiétants pour la représentation du personnel, du comité d’évaluation des ordonnances Travail.

Dans le cadre du comité d’évaluation des ordonnances Travail (*), France Stratégie a demandé à l’institut CSA de sonder les dirigeants d’entreprise et les élus du personnel sur leur niveau de connaissance des ordonnances Travail et sur la mise en place du comité social et économique (CSE). Du 14 mai au 4 juin, 605 dirigeants d’entreprise de 11 à 300 salariés et 703 représentants du personnel de sociétés de plus de 11 salariés ont été interrogés par téléphone.

Les mesures sur les licenciements sont les mieux connues par les entreprises

Premier enseignement : le contenu des ordonnances reste assez flou pour les entreprises, surtout chez les plus petites. Les mesures les mieux identifiées par les dirigeants sont celles qui concernent la rupture du contrat de travail (plafonnement des indemnités, rupture collective, formalités simplifiées pour le licenciement, etc.) ainsi que les possibilités de négocier en l’absence d’un délégué syndical. Côté élus du personnel, l’écart de connaissance est encore plus fort selon la taille de leur entreprise : 28% seulement des élus de 50 à 299 salariés estiment connaître le contenu des ordonnances, contre 54% des élus à partir de 300 salariés.

Une majorité de dirigeants n’envisagent pas de négocier davantage

Deuxième enseignement : les nouvelles possibilités de dialogue social dans l’entreprise paraissent méconnues, ce qui augure assez mal d’un développement de la négociation d’entreprise, mais il est vrai que ces changements sont très récents. Ainsi, 67% des dirigeants n’envisagent pas de négocier plus souvent des accords. Le temps de travailfigure néanmoins au premier rang des thèmes qui feront l’objet de négociations, estiment les représentants du personnel comme les dirigeants.

Les élus s’attendent à une baisse de leur nombre et des heures de délégation

Troisième constat : le CSE suscite de grandes craintes chez les élus du personnel interrogés (lire aussi notre encadré). Les élus estiment que la mise en place du CSE aura pour effet :

  • de réduire le nombre d’heures de délégation (selon 74% des élus de 300 salariés et plus, et selon 53% des élus de 60 à 299 salariés);
  • de réduire le nombre de salariés élus (selon 72% des élus de 300 salariés et plus, et selon 45% des élus de 50 à 299 salariés);
  • d’élargir le champ d’intervention des élus (selon 45% des élus de 300 salariés et plus, et selon 62% des élus de 50 à 299 salariés).

Il faut dire que si la mise en place d’une commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) dans l’entreprise paraît partagée par les dirigeants (40% des dirigeants de 50 à 300 salariés y songent) et les représentants du personnel (45% des élus de 50 à 300 salariés disent avoir eu des discussions avec l’entreprise à ce sujet), il n’en va pas de même pour les représentants de proximité.

Les représentants de proximité réservés aux grandes entreprises ? 

Ce mandat inédit, qui peut permettre de compenser en partie la baisse du nombre d’élus du fait de CSE, doit être négocié par accord. Or, si une partie des élus du personnel (24% des 11 à 299 salariés et 47% à partir de 300 salariés) souhaitent leur mise en place, seulement une très faible partie des dirigeants l’envisagent : 5% des dirigeants de 11 à 199 salariés et 11% pour la tranche 200-300 salariés. Le pourcentage est toutefois un peu plus important chez les DRH de grandes entreprises interrogés par l’ANDRH (voir notre encadré) : 23% des 300 à 1000 salariés envisagent de créer ces représentants de proximité, et 39% au-delà de 1 000 salariés.

Comme le montre le schéma ci-dessous, il faut ajouter que 67% des élus de 300 salariés et plus disent n’avoir encore eu aucune discussion avec leurs dirigeants sur le fonctionnement du CSE, seulement 32% ayant évoqué l’organisation des élections professionnelles.

CSA / France Stratégie

L’accompagnement des anciens élus est peu souvent prévu

En outre, dans les entreprises ayant déjà mis en place, ou qui prévoient de le faire, le CSE, très peu d’élus estiment que des mesures d’accompagnement des anciens élus sont prévues par l’entreprise : seulement 19% des élus répondent par l’affirmative à partir de 300 salariés, contre 16% de 50 à 299 salariés. Lorsque ces mesures sont prévues, il s’agit de mesures d’accompagnement dans 55% des cas (sensibilisation au management, entretien de repositionnement, bilan de compétences), de mesures négociées dans un accord collectif dans 45% (gestion des compétences, reconnaissance des compétences acquises) et dans 20% des actions de partenariat avec écoles ou universités.

Pas étonnant donc si l’impact estimé des ordonnances sur le climat social est apprécié de façon différente par les dirigeants et les élus. Si 70% des dirigeants de 100 à 300 salariés répondent que cet impact sera nul, 49% des élus de 300 salariés et plus disent que l’impact des ordonnances sera réel et négatif

Les réactions de la CFDT et de la CGT

Tous ces éléments, plutôt confirmés par l’enquête de l’ANDRH (lire ci-dessous), ont fait réagir les syndicats. La CFDT y voit la confirmation de ses premiers constats : « Une majorité d’entreprises aborde la mise en place du CSE sous un angle excessivement comptable, dans une recherche d’affaiblissement de la représentation des salariés. Trop peu saisissent l’opportunité de renouveler le cadre d’un dialogue social proche des salariés », estime la confédération selon laquelle « la confiance que le législateur a placée dans les entreprises pourrait se trouver largement mise à mal ». La CGT y voit aussi la confirmation de ce qu’elle affirme « dès le départ », à savoir que « le principal objet des ordonnances consiste bien à faciliter les licenciements » et que le « développement du dialogue social n’était qu’un prétexte » alors que « le gouvernement promettait à l’été 2017 de faire de la négociation et du dialogue social les maîtres mots de sa réforme du code du travail ».

(*) La ministre du Travail a confié à trois personnalités, Sandrine Cazes (économiste à l’OCDE), Marcel Grignard (ex secrétaire national CFDT), et Jean-François Pilliard (ex vice-président du Medef), une mission d’évaluation des effets économiques et sociaux des ordonnances, avec l’appui de France Stratégie, l’organisme de réflexion rattaché au Premier ministre. Ce comité a déjà publié sa méthode d’évaluation. Voir ici les documents d’évaluation publiés hier.

UNE MAJORITÉ DE DRH ENVISAGENT DE METTRE EN PLACE LE CSE EN 2019
Selon une enquête de l’ANDRH auprès de ses adhérents à laquelle ont répondu 332 DRH, 18% d’entre-eux ont déjà mis en place le CSE, 29% vont le faire d’ici fin 2018 et 53% en 2019. Le pourcentage de DRH ayant prévu de négocier un accord sur les moyens des représentants du personnel va de 26% entre 50 et 300 salariés à 37% de 300 à 1000 et 65% au-delà de 1000 salariés, comme le montre le schéma ci-dessous.

ANDRH

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