Comité social et économique

« Convocation du commissaire aux comptes de l’entité contrôlée (art. L. 2312-25 II 2°C. trav.) – Démission du commissaire aux comptes – Contestation sur les conditions de la démission – Refus de répondre à la convocation – Absence de trouble manifestement illcite ou de dommage imminent – Incompétence du juge des référés.

En application de l’article L. 2312-25 du code du travail, le comité social et économique peut convoquer le commissaire aux comptes de la société contrôlée pour recevoir ses explications sur les différents postes des documents communiqués ainsi que sur la situation financière de l’entreprise. Lorsque l’ensemble des éléments et documents à transmettre obligatoirement au CSE l’ont été et que l’expert-comptable désigné par lui a émis son rapport, rien n’empêche le comité d’émettre l’avis qu’il lui revenait d’établir. Si le commissaire aux comptes refuse de répondre à cette invitation en invoquant sa démission, le juge des référés ne peut se déclarer compétent que si le CSE prouve qu’il y a urgence, un dommage imminent à prévenir ou un trouble manifestement illicite à faire cesser, ce qui n’est pas rapporté en l’espèce.

(T. com. Nanterre – ord. réf. – 24 février 2021)

Faits 

La société par actions simplifiée à associé unique B. a pour activité principale le transport de fonds. B. emploie en France 3 200 salariés dont la représentation est assurée par plusieurs comités sociaux et économiques et par un Comité Social et Economique central.

Dans le cadre de ses attributions et s’estimant incomplètement informé de la situation de B., le CSE central – par courrier recommandé avec demande d’avis de réception du 11 septembre 2020 – décide, sur le fondement des dispositions de l’article L. 2312-25 du code du travail – de convoquer le commissaire aux comptes de B. la société par actions simplifiée X. à sa prochaine réunion fixée au 8 octobre suivant pour recueillir de sa part des explication et être entendu sur les comptes de l’exercice de B. clos le  31 décembre 2019.

Par courrier du 21 septembre 2020, X. répond qu’elle ne se rendra pas à cette convocation, son mandat ayant pris fin suite à la démission de ses fonctions constatée par l’assemblée générale des actionnaires de B. du 18 septembre précédent et son remplacement par le cabinet Y.

Par courrier du 26 octobre 2020, une nouvelle convocation est adressée par le CSE central B. à X. pour une nouvelle réunion fixée au 3 décembre 2020. De nouveau, par courrier du 30 octobre suivant, X. décline cette convocation.

Par courrier du 8 décembre 2020, le conseil du CSE central renouvelle à X. la demande de ce dernier.

Par lettre officielle du 17 décembre suivant, le conseil de X. indique à celui du CSE central qu’il ne peut être favorablement répondu à la demande de celui-ci, le commissaire aux comptes de l’entreprise à convoquer ne pouvant être que celui en place, ce que X. n’est plus puisque désormais remplacée par le cabinet Y.

Procédure

C’est dans ces circonstances que, par acte d’huissier de justice signifié à personne morale le  7 janvier 2021, le CSE central assigne X. en réferé devant le président du tribunal lui demandant de :

Vu les articles 489, 872 et 873 du code de procédure civile,

  • ordonner à X, représentée par son signataire M. A, de se rendre à l’une de ses prochaines réunions dans le respect du cadre légal de l’article L.2312-25 II 2e du code du travail, après sa nouvelle convocation notifiée à la défenderesse, sous peine d’astreinte de 1 000 € par refus ou par absence constatée à la réunion;
  • autoriser la présence d’un huissier de justice, à son choix, à sa réunion à laquelle est convoquée X., représentée par son signataire M.A;
  • dire que le président des réferés du tribunal de commerce restera compétent pour la liquidation des astreintes;
  • condamner X. à la somme de 3 000 € et aux entiers dépens au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
  • ordonner que l’exécution de l’ordonnance de référé au seul vu de la minute.

Par conclusions en défense déposées à notre audience du 28 janvier 2021, X. nous demande de : 

Vu les articles 872 et 873 du code de procédure civile.

  • débouter le CSE central B. de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions à son encontre…

Discussion et motivation…

Sur les demandes du CSE central B.

En premier lieu, l’article 872 du code de procédure civile dispose :  » Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ».

Sur le fondement de ces dispositions, le CSE central B. nous demande d’ordonner à X. de déférer à la convocation qu’il lui a adressée en application des dispositions de l’article L. 2312-25 II 2° du code du travail.

L’article L.2312-25 II 2° du code du travail, relatif aux modalités de la consultation annuelle du comité social et économique d’une entreprise sur la situation économique de celle-ci, dispose que sont transmis pour avis au comité social et économique : (…) « Pour toutes les sociétés commerciales, les documents obligatoirement transmis annuellement à l’assemblée générale des actionnaires ou à l’assemblée des associés, notamment le rapport de gestion prévu à l’article L.225-1 02-1 du code de commerce qui comprend les informations relatives à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, les communications et les copies transmises aux actionnaires dans les conditions prévues aux articles L.275-100 à L. 225-1 02-2. L.225-108 et L 225-118 du code de commerce, ainsi que le rapport des commissaires aux comptes. Le conseil peut convoquer les commissaires aux comptes pour recevoir leurs explications sur les différents postes des documents communiqués ainsi que sur la situation financière de l’entreprise« ; et son article L. 2312-17 :  » Le comité social et économique est consulté dans les conditions définies à la présente section sur : 1° Les orientations stratégiques de l’entreprise ; 2° La situation économique et financière de l’entreprise ; 3° La politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi. »

Il revient au CSE central B. de démontrer que les conditions ainsi fixées tant par le code de procédure civile que par le code du travail sont en l’espèce remplies.

Sur le fondement de l’article 872 du code de procédure civile précité, le CSE central B. soutient que sa demande répond à la condition d’urgence exigée par ce texte.

Des pièces versées aux débats, nous constatons :

  • qu’il n’est pas constaté que les documents prescrits par les dispositions du code du travail ci-dessus rappelées – et notamment les rapports des commissaires aux comptes de B. relatifs aux exercices 2018 et 2019 – ont été transmis au CSE central en vue de sa consultation et l’émission de son avis;
  • que le CSE central, dans le cadre de sa mission et des ses responsabilités légales, s’est fait assister par un expert-comptable indépendant et choisi par lui;
  • que cet expert-comptable a remis au CSE central deux rapports successifs, qui ne sont pas versés aux débats mais ont été transmis à X., et dont le CSE central fait état par extraits dans ses écritures pour en conclure que l’analyse de cet expert état  » forcément partielle et incomplète ».

Nous constatons que, puisque les dispositions légales précitées ont été respectées, ce qui est établi, que l’ensemble des éléments et documents à transmettre obligatoirement à un comité social et économique l’ont été et que l’expert-comptable désigné par lui a émis son rapport, peu important les réserves retenues par ce dernier, rien n’empêchait le CSE central B. d’émettre l’avis qu’il lui revenait d’établir, au besoin et s’il le jugeait nécessaire en faisant lui-même état de ces réserves.

Nous constatons également qu’aucune des dispositions du code du travail précitées ne permet ni n’interdit clairement à un comité social et économique de convoquer un commissaire aux comptes autre que celui en fonction au jour de la réunion dont cette convocation est l’objet.

Nous relevons toutefois que le CSE central conteste l’interprétation que X., a des dispositions de l’article L.2312-25 du code du travail précitées, les parties s’opposant sur l’identité du commissaire aux comptes susceptibles d’être convoqué à la réunion du comité social et économique.

Le CSE central a fixé la date de cette réunion au 8 décembre 2020, date à laquelle X. avait cessé ses fonctions puisqu’elle s’en était démise par courrier recommandé adressé à B. le 17 septembre précédent, démission actée par décision de son associé unique du 18 septembre suivant, documents versés aux débats.

Toutefois, les conditions dans lesquelles cette démission est intervenue font l’objet d’une contestation de la part du CSE central, contestation qui échappe au juge des référés, juge de l’évidence.

Nous constatons aussi que les parties s’opposent sur la portée de la convocation adressée à un commissaire aux comptes, telle que prévue par l’article L.2312-25 II 2°, le CSE central soutenant que le commissaire aux comptes doit y déférer et X, qu’il n’est pas légalement tenu de s’y soumettre.

Enfin, nous constatons que le CSE central B. et X. s’opposent sur leurs droits et obligations respectifs au motif chacun des risques de sanctions pénales attachées pour l’un au délit d’entrave au fonctionnement d’un comité social et économique et, pour, l’autre au secret professionnel lié à la communication à des tiers d’informations confidentielles recueillies en cours de mission, infractions que le seul le juge pénal a le pouvoir de caractériser et de réprimer et qui échappent au pouvoir du juge des référés.

Les contestations ainsi opposées par X. aux demandes du CSE central caractérisent des contestations sérieuses qui, en l’absence de l’évidence indispensable pour pouvoir les trancher, relèvent du fond du litige et non du juge des référés.

En second lieu, l’article 873, alinéa 1 du code de procédure civile dispose :  » Le président peut dans les mêmes limites, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicte » ; et son alinéa 2 : « Dans le cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. »

Au visa de cette disposition, le CSE central soutient tout d’abord que le refus de X. de déférer à la convocation à ses réunions caractérise un trouble manifestement illicite justifiant les mesures qu’il nous demande d’ordonner.

Un trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d’un fait qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit, fait qu’en l’espèce il revient au CSE central B. de démontrer.

CSE central B. soutient, par ailleurs, qu’il existerait un dommage imminent.

Le dommage imminent s’entend du dommage qui n’est pas encore réalisé, mais que se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer.

Comme déjà relevé, nous constatons que le dommage dont le CSE central B. se prévaut est l’impossibilité où il se trouverait de ne pas être en mesure de rendre à la direction de B. l’avis sur les comptes de l’exercice 2019 de la société, avis que la loi met à sa charge, et en conséquence l’entrave qui en résulte dans l’exercice de ses prérogatives légales.

Toutefois, et comme déjà évoqué, nous relevons que le CSE central ne démontre pas en quoi le refus de X. de déférer à sa convocation à ses réunions – peu important que ce refus soit ou non justifié – serait à l’origine d’un dommage imminent dès lors qu’il était loisible au CSE central B. de rendre l’avis requis, au besoin assorti des réserves jugées utiles.

De plus, nous observons que dire fondée la demande d’ordonner à X, sous astreinte, de déférer à la convocation du CSE central reviendrait pour le juge des référés à ordonner l’exécution d’une obligation de faire que l’alinéa 2 de l’article 873 du code de procédure civile réserve aux hypothèses dans lesquelles l’existence de cette obligation n’est pas sérieusement contestable, condition qui, pour les motifs déjà relevés, n’est pas en l’espèce remplie.

De tout ce qui précède, nous constaterons qu’en l’espèce, il n’est caractérisé ni urgence, ni dommage imminent à prévenir, ni trouble manifestement illicite à faire cesser et qu’il existe, en tout état de cause, des contestations sérieuses opposées aux demandes du CSE central B.; que, dès lors, ces demandes – qui ne répondent pas aux conditions des articles 872 et 873 du code de procédure civile, fondement de l’office du juge des référés – sont irrecevables devant ce dernier.

En conséquence, nous dirons n’y avoir lieu à référé…

Note – Les relations entre le comité d’entreprise, remplacé par le comité social et économique depuis le 1er janvier 2018, et le commissaire aux comptes de l’entité contrôlée ne donnent pas lieu à beaucoup de contentieux. D’où l’intérêt de cette ordonnance de référé rendue par le tribunal de commerce de Nanterre dans les circonstances suivantes : les salariés d’une société spécialisée dans le transport de fonds sont inquiets quant au devenir de leur entreprise. Afin d’être mieux informé, le CSE central convoque par courrier du 11 septembre 2020 le commissaire aux comptes de la société à sa prochaine réunion fixée au 8 octobre suivant puis repousée au 3 décembre. On sait en effet qu’aux termes de l’article L.2312-25, II, 2° du code du travail :  » le conseil peut convoquer les commissaires aux comptes pour recevoir leurs explications sur les différents postes des documents communiqués ainsi que sur la situation financière de l’entreprise. »

Le 21 septembre, le commissaire aux comptes fait savoir au CSE qu’il ne se rendra pas à cette convocation car il a démissionné de ses fonctions, démission acceptée par l’actionnaire unique le 18 septembre précédent, et a été remplacé par un nouveau commissaire qui seul peut désormais répondre à l’invitation du CSE.

Le commissaire démissionnaire ayant réitéré son refus de répondre à la convocation, est alors assigné en référé, ainsi que le signataire des rapports, devant le président du tribunal de commerce de Nanterre. Il est demandé au magistrat consulaire d’ordonner à la société de commissaires et au signataire de se rendre à l’une des prochaines réunions du CSE sous astreinte de 1000 € par refus ou par absence constatée à la réunion.

L’ordonnance ne dit rien des causes de la démission du commissaire aux comptes. On peut cependant supposer qu’il a respecté les dispositions de l’article 19 de son code de déontologie professionnelle, en invoquant un motif légitime. On sait que la lettre de démission doit comporter une date d’effet. En l’espèce, la démission ayant été actée par l’associé unique de la société le 18 septembre 2020, c’est à cette date, sauf mention contraire dans la lettre, que le commissaire aux comptes a cessé ses fonctions. N’étant plus en exercice, il ne pouvait alors plus répondre aux questions du CSE dont la réunion n’était prévue que pour le 8 octobre, puis reportée au 3 décembre suivant. S’il l’avait fait, il se serait exposé aux sanctions pénales edictées en cas de violation du secret professionnel pour communication à un tiers, le CSE, d’informations confidentielles receuillies en cours de mission.

Le CSE a cependant contesté les conditions de cette démission. La connaissance de cette contestation, qui porte sur une question de fond, échappe évidemment au juge des référés, juge de l’évidence.

L’ordonnance examine ensuite le point de savoir si les conditions exigées par les articles 872 et 873 du code de procédure civile étaient réunies pour que le juge des référés puisse se déclarer compétent. Sur la condition d’urgence, la décision relève que les documents devant être communiqués au Comité en application de l’article L.2312-25,II, 2° du code du travail, en particulier les rapports du commissaire aux comptes, l’ont bien été en vue de sa consultation et de l’émission de son avis. Le Comité s’étant fait assister par un expert-comptable indépendant, choisi par lui, qui lui avait remis deux rapports, rien ne l’empêchait d’émettre son avis, qui pouvait, s’il le souhaitait, reprendre les réserves de l’homme du chiffre. La condition d’urgence n’était donc pas remplie et les contestations sérieuses soulevées rendaient le juge des référés incompétent. Le juge consulaire ajoute qu’il doit également se déclarer incompétent au motif de l’absence de dommage imminent, dès lors qu’il était tout à fait loisible au CSE de rendre l’avis requis, au besoin assorti des réserves jugées utiles. »

Source : Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes

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