Commandeurs… et payeurs ! Fini le temps où les CE et les CHSCT pouvaient recourir à des expertises sans presque jamais avoir à en supporter le coût. Depuis les ordonnances Macron de l’automne 2017, voilà les élus de comités sociaux et économiques (CSE) invités à y regarder à deux fois avant de s’adjoindre les conseils d’un cabinet d’expertise. Car désormais, la réglementation du travail les prie de bien vouloir mettre la main au portefeuille lorsqu’ils commandent un rapport. A leur charge, 20% de la facture. Un cofinancement qui ne s’applique pas, néanmoins, à toutes les missions. Sont concernées celles portant sur les orientations stratégiques, les droits d’alerte, les opérations de concentration, les projets importants ayant des conséquences sur les conditions de travail ainsi que les expertises sur l’égalité professionnelle. Y échappent, en revanche, les missions portant sur la situation économique, financière et sur la politique sociale, de même que l’assistance aux élus en cas de risque grave et de PSE.

Pour l’instant, les effets de ce cofinancement restent très largement à venir. Tout juste mis en place dans un grand nombre d’entreprises, les CSE n’ont guère eu l’occasion jusqu’ici de se frotter au nouveau cadre de recours à l’expertise. Il n’empêche, les cabinets de conseils aux instances de représentation du personnel s’inquiètent déjà de cette nouvelle donne. « Dans une grosse PME, la moindre expertise peut représenter le tiers du budget de fonctionnement du CSE, calcule Jean-Claude Delgènes, le président de Technologia. Ce système-là va tuer toute expertise ». Un avis partagé par le dirigeant d’une structure concurrente. « Entre financer des chèques vacances et une mission, les élus ne vont pas hésiter longtemps, ils savent très bien ce qui est vendeur auprès des salariés », explique ce numéro deux d’un cabinet agréé CHSCT.
Et pourtant, la législation prévoit bien le cas des instances trop chichement dotées. L’alinéa 3 de l’article L. 2315-80 du code du travail précise ainsi qu’il revient à l’employeur de payer l’intégralité de la facture « lorsque le budget de fonctionnement du comité social et économique est insuffisant pour couvrir le coût de l’expertise ». Une disposition totalement ignorée par beaucoup d’élus de CSE. « Nous avons très mal joué le coup, nous, les experts. Nous aurions mieux fait de nous taire plutôt que de hurler contre le principe du cofinancement. Car nous avons malgré nous contribués à instiller dans la tête des élus qu’il n’y avait pas moyen d’échapper à cette participation financière », analyse Julien Sportès, président de Tandem expertise.
Reste à savoir comment utiliser à bon escient cet alinéa, en l’absence de toute jurisprudence. La recommandation des cabinets de conseils aux élus du personnel ? Établir en début d’année un budget prévisionnel à l’équilibre, dans lequel ne figure aucune expertise. « Dans ce cas, nous pouvons adresser 100% des honoraires à la direction puisque les finances du CSE ne lui permettent pas la prise en charge de la mission », soutient Julien Sportès.

Une lecture habile, mais qui ne convainc guère les avocats employeurs. « À mon sens, ce n’est pas le prévisionnel – pour peu qu’il existe ! – mais la trésorerie qui importe. Si le CSE dispose des fonds nécessaires, il lui revient de payer sa part de l’expertise », décrypte Régine Goury, associée du cabinet Mayer Brown. Une analyse partagée par sa consœur Anna-Christina Chaves, associée chez Stehlin & Associés. « L’employeur peut aussi saisir le TGI en référé pour contester le montant des honoraires de l’expert et obtenir une réduction du périmètre de sa mission. De telle sorte que celle-ci soit compatible avec les moyens financiers du CSE, complète-t-elle.
Dans les prochaines années, il y a fort à parier que les juges auront à se pencher sur le sujet. Mais d’ores et déjà, le recours à cet alinéa s’avère contraignant pour les CSE. Pour y prétendre, les élus doivent en effet respecter deux obligations. La première, ne pas avoir transféré le moindre reliquat du budget de fonctionnement vers celui destiné aux activités sociales et culturelles (ASC) au cours des trois dernières années ; la seconde, s’interdire également de le faire dans les trois années suivantes.
De quoi faire sérieusement réfléchir les représentants du personnel, qui doivent renoncer durablement à toute fongibilité entre les deux enveloppes. Alors même que la réglementation leur permet désormais de transférer jusqu’à 10% du reliquat du budget de fonctionnement vers celui des œuvres sociales. Une mesure toujours très populaire à l’égard de ses électeurs !
Pour diminuer l’ardoise à la charge des élus, certains cabinets, tels Syndex et Sextant expertise, jouent une autre partition. Ils envoient l’intégralité de leurs factures aux employeurs, en les invitant à se retourner vers leurs instances pour obtenir le remboursement des 20% dus. « Cela pose rarement problème, seule une minorité d’entreprises refusent et demandent une facturation séparée », confie Christian Pellet, président de Sextant expertise. Une mesure neutre ? Pas tout à fait. « Dans le meilleur des cas, l’employeur ne réclame rien, dans le pire, le CSE y gagne le non-paiement de la TVA », souffle un expert. De fait, la technique permet de réduire la note puisque l’entreprise va pouvoir récupérer la TVA sur la totalité des honoraires, ce que le CSE n’est pas en mesure de faire sur sa partie de l’addition s’il paie en direct le cabinet. Un tour de passe-passe astucieux mais litigieux. Non seulement parce qu’il s’agit d’une interprétation assez libre de la législation. Mais surtout parce que le fisc pourrait ne pas apprécier de voir ses rentrées diminuer de la sorte…
Source – Actuel CE