La mission d’expertise du CSE pour l’examen de la situation économique et financière peut porter sur la situation et le rôle de cette entreprise au sein d’un groupe, mais elle ne peut porter que sur l’année qui fait l’objet de la consultation et les deux années précédentes ainsi que sur les éléments d’information relatifs à ces années.

L’étendue des expertises du CSE et de l’accès de l’expert aux documents de l’entreprise a toujours fait l’objet d’une jurisprudence abondante. La Cour de cassation continue d’affiner sa jurisprudence depuis l’entrée en vigueur du CSE qui a sensiblement modifié la donne en la matière.

Dans cet arrêt publié de la Cour de cassation, la chambre sociale se prononce clairement sur l’étendue de l’expertise dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise (SEF), l’ancien « examen annuel des comptes » revu et corrigé. Ainsi cette expertise peut s’étendre à la place de l’entreprise dans le groupe dont elle fait partie, mais elle ne peut pas remonter plus loin que les deux années précédentes.

L’expertise sur la situation économique et financière (SEF) peut s’étendre à la place de l’entreprise au sein du groupe…

Cette question du groupe dans le cadre des consultations récurrentes du CSE est très importante. De nombreuses entreprises font en effet partie d’un groupe, et ne prennent donc pas forcément toutes les décisions concernant leur stratégie, mais également leur gestion. C’est pourquoi il est essentiel de cerner les missions de l’expert désigné par le CSE dans ce cadre et notamment, comme dans cette affaire, dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise.

Désignation d’un expert-comptable par le CSE dans le cadre de la consultation sur la SEF

Cette entreprise est une filiale d’un groupe, qui fait lui-même partie d’un groupe. En 2021, le CSE de la société décide du recours à un expert-comptable en vue de la consultation sur la SEF au titre de l’année 2020 et désigne un cabinet pour cette mission. Le cabinet envoie une lettre de mission au président du comité prévoyant une durée de 14 jours pour un montant de 21 000 euros.

La lettre précise notamment que l’expertise traitera de la situation du groupe ainsi que de la situation de la société au sein au sein du groupe. La société saisit le président du tribunal judiciaire afin que la mission soit limitée à la situation économique et financière de la seule société au cours des années 2019, 2020 et 2021, et que soient réduits en conséquence la durée de la mission à 4 jours et son coût prévisionnel à 6 000 euros.

► Rappel : l’employeur peut en effet saisir le président du tribunal judiciaire dans le cadre de la procédure accélérée au fond, dans un délai de 10 jours suivant la notification du coût prévisionnel pour contester ce coût, ainsi que la durée et l’étendue de l’expertise (C. trav., art. L. 2315-86 et R. 2315-49).

Pour l’employeur en effet, la mission définie dans la lettre dépassait les limites prévues par la loi, qui devait, d’après lui, se limiter à la seule entreprise. Mais le tribunal judiciaire donne raison à l’expert, pour lequel la mission « pouvait être étendue à sa sous-traitance ou encore à l’insertion de ladite entreprise et à son rôle dans un groupe ». Et la Cour de cassation confirme cette décision, en précisant son propos.

Mission calquée sur celle du commissaire aux comptes de l’entreprise

La chambre sociale commence par rappeler les droits du CSE en la matière :

  • droit de recourir à un expert-comptable en vue de la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise (C. trav., art. L. 2315-88) ;
  • mission de l’expert-comptable dans ce cadre sur tous les éléments d’ordre économique, financier ou social nécessaires à la compréhension et à l’appréciation de la situation de l’entreprise (C. trav., art. L. 2315-89) ;
  • accès de l’expert du CSE aux mêmes documents que le commissaire aux comptes de l’entreprise (C. trav., art. L 2315-90).

Et c’est à partir de ce dernier point que la Cour explicite sa décision. Elle s’appuie en effet, pour ce faire, sur les articles du code de commerce relatifs à la mission du commissaire du compte de l’entreprise. Ainsi, « aux termes de l’article L. 823-14, 1er alinéa, du code de commerce, les investigations prévues à l’article L. 823-13 peuvent être faites tant auprès de la personne ou de l’entité dont les commissaires aux comptes sont chargés de certifier les comptes que des personnes ou entités qui la contrôlent ou qui sont contrôlées par elle au sens des I et II et de l’article L. 233-3.

Elles peuvent également être faites, pour l’application du deuxième alinéa de l’article L. 823-9, auprès de l’ensemble des personnes ou entités comprises dans la consolidation ». Et d’en déduire « que la mission d’expertise pour l’examen de la situation économique et financière de l’entreprise pouvait porter sur la situation et le rôle de cette entreprise au sein d’un groupe ».

 Remarque : cette référence aux articles du code de commerce relatifs au commissaire aux comptes n’est pas nouvelle. La Cour de cassation s’est déjà prononcée en ce sens dans plusieurs décisions relatives au comité d’entreprise (par exemple, arrêt du 8 novembre 1994 arrêt du 27 novembre 2001 ; arrêt du 5 février 2020). C’est aujourd’hui acté et précisé dans le cadre de la consultation du CSE sur la situation économique et financière. Mais attention, si l’accès de l’expert du CE aux mêmes documents que le commissaire aux comptes était possible « pour opérer toute vérification ou tout contrôle entrant dans l’exercice de ses missions » (C. trav. anc., art. L. 2325-37), cette référence n’est plus prévue expressément pour le CSE que concernant la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise (C. trav., art. L. 2315-90), et pas pour les autres consultations récurrentes (orientations stratégiques et politique sociale et conditions de travail). Concernant la consultation sur les orientations stratégiques, si plusieurs cours d’appel avaient étendu la mission de l’expert du CSE au groupe (CA Lyon, ch. soc., 8 janv. 2016, n° 14/09041 ; CA Paris, ch. 1-8, 15 juill. 2016, n° 15/24432), la Cour de cassation ne s’est pas encore prononcée sur ce point depuis l’instauration du CSE.

La lettre de mission n’excède donc pas le champ de l’expertise que le CSE peut demander dans le cadre de cette consultation. Et l’expert est donc en droit d’étendre ses travaux au groupe afin de déterminer la place de l’entreprise dans ce groupe.

… mais l’expertise et les informations réclamées doivent se limiter à l’année faisant l’objet de la consultation et aux deux années précédentes

La deuxième question que tranche ensuite la Cour de cassation porte sur la limite temporelle de l’expertise du CSE sur la SEF. En effet, il résultait de la lettre de mission, et en particulier de la liste des documents demandés, que l’expert entendait étendre sa mission sur les cinq derniers exercices. La société conteste : pour elle, l’étendue de la mission doit être limitée temporellement à l’année en cours et aux deux années précédentes. Si le tribunal judiciaire écarte l’argument, considérant « qu’aucune limitation de l’étendue de la mission fût-elle temporelle ne pouvait être prononcée », la Cour de cassation donne ici raison à la société.

Après avoir rappelé les articles du code du travail relatifs à la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE), la Cour en déduit que « l’expertise à laquelle le comité social et économique peut décider de recourir en application de l’article L. 2315-88 du code du travail en vue de la consultation annuelle sur la situation économique et financière de l’entreprise, ne peut porter que sur l’année qui fait l’objet de la consultation et les deux années précédentes ainsi que sur les éléments d’information relatifs à ces années ».

► La Cour de cassation s’était déjà prononcée en ce sens concernant le comité d’entreprise. En effet, il a été jugé que l’employeur remplit son obligation de communiquer les pièces utiles à la consultation sur l’examen annuel des comptes dès lors qu’il met à disposition du comité d’entreprise et de son expert, les détails des éléments de rémunération ou concernant les fournisseurs relatifs à l’année qui fait l’objet du contrôle et aux deux années précédentes (arrêt du 25 mars 2020). La solution est confirmée pour le CSE.

Sont en effet visés les articles :

  • L. 2312-18 précisant que les éléments d’information transmis dans le cadre des consultations récurrentes sont mis disposition et actualisés via la BDESE ;
  • L. 2312-25 détaillant les informations mises à disposition du CSE dans la BDESE dans le cadre de la consultation sur la SEF ;
  • L. 2312-36 listant les rubriques de la BDESE et précisant notamment que ces informations portent « sur les deux années précédentes et l’année en cours » ;
  • et l’article R. 2312-10, al. 1er rappelant également, qu’en l’absence d’accord, les informations figurant dans la BDESE portent sur l’année en cours et les deux années précédentes.

► Dans cette affaire, il semblerait qu’il n’y avait pas d’accord relatif aux consultations récurrentes ou au contenu de la BDESE. Est-ce à dire qu’en cas d’accord, la temporalité de l’expertise se trouverait réduite s’il est par exemple prévu que les indicateurs de la BDESE ne portent que sur l’année en cours (l’article L. 2312-21 permettant de conclure un accord définissant notamment le « contenu » de la BDESE) ? Il nous semble que non. En effet, dans ce cas, d’après nous, cette règle de temporalité doit s’entendre comme une règle générale pour deux raisons. D’une part, la Cour de cassation a précisé encore récemment que l’expert n’est pas limité aux seules informations figurant dans la BDESE dans le cadre de sa mission, ce droit d’accès étant conditionné par le contenu de cette mission (arrêt du 19 avril 2023 ; arrêt du 19 avril 2023 ; ces arrêts concernaient la consultation sur la politique sociale, mais nous semblent transposables). D’autre part, opérer une expertise sur une seule ou deux années risque de porter atteinte au principe de d’effet utile des consultations, l’expertise étant un outil pour éclairer les membres du CSE.

Et quid si l’accord de mise en place du CSE limite le contenu de la consultation récurrente ou la liste des informations nécessaires comme cela est prévu par l’article L. 2312-19 ? Concernant un éventuel accord sur les expertises dans le cadre des consultations récurrentes, tel qu’autorisé par l’article L. 2315-79, il n’est prévu que la possibilité de limiter le nombre d’expertise et les délais d’expertise, il ne devrait donc pas être possible de restreindre les droits d’accès de l’expert. Ces points restent à confirmer et préciser par la Cour de cassation.

Séverine BAUDOUIN