En cas d’atteinte de l’employeur au droit à l’image du salarié, ce dernier peut obtenir réparation en justice sans démontrer l’existence d’un préjudice. C’est ce que précise la Cour de cassation dans un arrêt du 19 janvier 2022.

Il découle du principe issu de l’article 9 du code civil que toute personne a, sur son image, un droit exclusif et absolu et peut s’opposer à sa fixation, à sa reproduction ou à son utilisation sans autorisation préalable. La subordination inhérente au contrat de travail n’a pas pour effet de priver le salarié de ce droit fondamental ; l’employeur ne peut capter et utiliser l’image d’un salarié sans son consentement préalable, que l’image soit utilisée pour des supports internes à l’entreprise (trombinoscope, intranet, affiches, etc.) ou à des fins publicitaires ou commerciales.

Si l’employeur utilise cette image sans recueillir ce consentement ou au mépris de l’opposition du salarié, ce dernier est en droit de réclamer devant le conseil de prud’hommes le versement de dommages-intérêts, sans avoir besoin de démontrer l’existence d’un préjudice.

Un principe rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 19 janvier 2022 qui offre l’occasion d’un tour d’horizon jurisprudentiel sur le respect de ce droit fondamental en entreprise.

Consentement des salariés : les règles dégagées par la jurisprudence

En principe, le recueil préalable du consentement du salarié est indispensable et il ne vaut pas ad vitam aeternam.

Nature du consentement

Parfois, le consentement peut être donné tacitement par le salarié et peut se déduire de son comportement. 

Ainsi, le simple fait pour un salarié de se rendre dans un studio photos et de s’y faire photographier ne peut s’interpréter comme valant acceptation de la reproduction de sa photographie (cour d’appel de Grenoble, 27 janvier 2003, n° 99-4102). En revanche, un accord tacite peut être constaté dès lors que le salarié s’est volontairement soumis aux prises de vue et que pendant 13 ans il n’a émis ni protestation ni réclamation (cour d’appel de Paris 5 mars 2014, n°12/10940).

Mais le principe demeure le consentement exprès du salarié. Pour éviter tout contentieux, mieux vaut recueillir l’autorisation du salarié par écrit, soit dans le contrat de travail (ou dans un avenant) soit dans un document d’autorisation distinct.

Périmètre du consentement

Le consentement d’un salarié à l’utilisation de son image ne donne pas un blanc-seing à l’employeur pour une utilisation sur tout type de support, y compris après la rupture du contrat de travail.

Le seul fait qu’un salarié ait donné son consentement à la prise de la photographie sans formuler de protestation quant à la reproduction et la diffusion de l’image sur un certain supgport ne vaut pas accord pour de nouvelles diffusions de cette image pour un objet distinct de la première diffusion. Pour cela, un nouveau consentement du salarié est requis, sous peine d’une condamnation à des dommages-intérêts (cour d’appel de Douai, 31 janvier 2012, n° 11/00586). L’accord donné à la réalisation d’une image ne vaut pas autorisation de la diffuser dans un objectif commercial et publicitaire (cour d’appel d’Amiens, 4 septembre 2013, n° 12/01271).

Le consentement donné tacitement par un salarié saisonnier à la diffusion de son image sur le site internet des établissements exploités par son employeur et sur les revues diffusées à l’intérieur de la station de sport d’hiver ne vaut pas au-delà de la saison d’hiver après laquelle la relation de travail a définitivement pris fin (cour d’appel de Chambéry, 5 septembre 2013, n° 12/01442).

L’utilisation de l’image d’un ancien salarié est encore plus délicate à appréhender pour l’employeur. S’il utilise des photographies de salariés ayant quitté l’entreprise (des photographies peuvent subsister sur le site internet de l’entreprise ; cette dernière peut aussi des photographies anciennes à des fins commerciales), il s’expose à une condamnation à  des dommages-intérêts (cour d’appel de Chambéry, 21 avril 2009, n° 08-2089), particulièrement s’il utilise ces images au mépris de l’opposition écrite du salarié lors de son licenciement (cour d’appel de Bordeaux, 3 mai 2011, n° 10/03599).

► Il a toutefois été jugé par la cour d’appel de Toulouse qu’un employeur peut valablement utiliser l’image d’un salarié à des fins publicitaires après la rupture de leurs relations de travail dès lors que la convention d’autorisation d’utilisation et de reproduction de l’image signée entre l’employeur et le salarié ne mentionne pas que cette autorisation prend fin avec le contrat de travail (cour d’appel de Toulouse, 6 septembre 2013, n° 11/05160).

La seule constatation de l’atteinte au droit à l’image ouvre droit à réparation, nul besoin de démontrer un préjudice

L’arrêt rendu par  la chambre sociale le 19 janvier dernier rappelle un principe fondamental de la réparation due en cas d’atteinte au droit à l’image.

Dans cette affaire, deux salariés sont engagés en qualité de maçons dans une entreprise. Chacun d’entre eux est photographié avec l’ensemble de l’équipe pour apparaître sur le site internet de l’entreprise. Quelques années plus tard, ils adhèrent chacun, dans le cadre d’une procédure de licenciement économique, à un contrat de sécurisation professionnelle et leur contrat de travail est rompu en mars 2014.

Le 27 juillet 2015, leur ancien employeur réceptionne un courrier de leur part mentionnant leur volonté de voir cette photographie supprimée. L’employeur ne se conforme pas à cette demande. Ils saisissent la justice aux fins d’obtenir une réparation civile pour atteinte du droit à l’image. L’ancien employeur supprime la photographie litigieuse postérieurement à la communication des conclusions de première instance des salariés formulant cette demande. Les salariés sont débouté de leur demande en appel aux motifs non seulement de cette suppression mais également qu’ils ne démontraient aucunement l’existence d’un préjudice personnel, direct et certain résultant du délai de suppression de la photographie en question.

A tort.

La chambre sociale rappelle que la seule constatation de l’atteinte au droit à l’image ouvre droit à réparation. Elle reprend à son compte une décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 2 juin 2021.

► L’arrêt d’appel considérait, à tort, qu’en l’absence de toute preuve de la commercialisation de l’image par la société de presse, il n’était pas démontré qu’elle avait commis une faute à l’égard du plaignant. Pour la première chambre civile, la seule preuve de la captation de l’image du demandeur sans son autorisation suffisait à engager la responsabilité de la société de presse qui l’avait prise.

L’arrêt d’appel, qui a violé l’article 9 susvisé, est cassé et l’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Bordeaux.

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