Les salariés attendent d’abord d’un délégué syndical qu’il soit honnête, compétent et exemplaire. Et ils aimeraient voir le dialogue social porter d’abord sur les salaires, le pouvoir d’achat, les conditions de travail et l’organisation du travail.

Ce n’est qu’un sondage, dira-t-on, à prendre avec prudence donc. Certes. Mais d’une part, l’échantillon de cette enquête récurrente est assez large (*) et, d’autre part, ces résultats paraissent refléter un certain état de l’opinion, plus divisée au sujet des « réformes » que ne pourrait le laisser penser l’insuccès des manifestations organisées contre elles (voir le diaporama de l’enquête ci-dessous). Qu’on en juge : les salariés interrogés soutiennent-ils l’idée que la loi et les ordonnances sont plus efficaces que la négociation pour conduire des réformes ? Non, répondent 60% des salariés. Les droits acquis sont-ils une menace pour la compétitivité ? Encore non pour 67%. En revanche, 57% considèrent que la flexibilité est une menace pour la protection des salariés. Mais tout cela n’empêche pas 70% de considérer que l’action syndicale est inefficace : l’impuissance des syndicats à modifier substantiellement le cours des réformes des derniers mois est ici payée cash.

Cadres et non cadres : perceptions et opinions différentes

Si l’on regarde plus en détail, l’enquête fait parfois apparaître une ligne de fracture entre cadres et non-cadres. Si 41% des cadres jugent que la situation économique française s’est améliorée ces derniers mois, 35% des salariés non cadres estiment qu’elle s’est dégradée. Ce chiffre peut constituer un motif d’inquiétude pour un gouvernement ayant promis aux salariés une amélioration de leur pouvoir d’achat et de la situation de l’emploi grâce aux ordonnances.

De la même façon, plus de la moitié des cadres (56%) jugent que la réforme du code du travail conduite par Muriel Pénicaud va « dans le bon sens », contre 35% seulement des non cadres.  65% des non cadres jugent négativement les ordonnances et 69% se disent en désaccord avec l’idée qu’il faudrait combattre la peur d’embaucher par l’assouplissement du droit à licencier. Quand aux syndiqués, seuls 21% soutiennent que la réforme du code du travail va dans le bon sens. « Certains cadres ont pu attendre certains points amenés par les ordonnances, notamment s’ils étaient soucieux de flexibilité et de compétitivité pour leurs entreprises. Mais il y a beaucoup d’autres points où l’on observe au contraire un rapprochement des opinions entre cadres et non cadres », nous fait remarquer Guy Groux, directeur de recherches associé au Cevipof, le centre de recherches politiques de Sciences Po.

L’image des acteurs du monde politique, économique, social et médiatique ne sort pas grandie de l’enquête : 90% des personnes interrogées n’ont pas confiance dans les partis politiques, 72% se défient des médias, 65% des syndicats, 57% des grandes entreprises privées, 47% n’ont pas confiance dans la direction de leur entreprise, etc.

Leur demande-t-on si les syndicats, les employeurs et le ministère du Travail se préoccupent de ce que pensent « les gens comme vous » ? 59% pensent que les syndicats ne se soucient pas de ce qu’ils pensent, ce pourcentage grimpant à 80% pour le ministère du Travail et 73% pour les employeurs. Quant au dialogue social vu depuis son entreprise, 70% répondent qu’il existe mais seulement 21% qu’il est « efficace ».

Le salaire et le pouvoir d’achat, thèmes jugés prioritaires

Pour les salariés, les thèmes prioritaires de ce dialogue social devraient être :

  • les salaires et le pouvoir d’achat (pour 58%);
  • les conditions de travail et l’organisation du travail (44%);
  • la protection sociale (31%);
  • l’influence des salariés sur les décisions de l’entreprise (17%);
  • les conditions d’embauche et de licenciement (16%);
  • l’absence de discriminations (12%);
  • la formation professionnelle (11%);
  • les libertés syndicales (3%).

Force est de constater que le chantier de la réforme de la formation professionnelle, qui va être débattue à partir du 11 juin à l’Assemblée, semble surtout rencontrer une grande indifférence de la part des salariés. Le faible intérêt pour les libertés syndicales fait ici écho à la difficulté exprimée par une partie du monde syndical à pouvoir mobiliser les salariés au sujet de l’évolution des instances représentatives du personnel. Quant à la prédominance des items sur les salaires et l’organisation du travail, elle n’étonne pas Guy Groux : « La revendication salariale est une constante, a fortiori dans des périodes de reprise économique. Comme nous sommes par ailleurs dans une phase de mutation technologique, il y a une attente à propos de l’organisation du travail ».

Le DS idéal : honnête, connaissant ses dossiers, exemplaire

Par ailleurs, l’idée de s’adresser aux délégués syndicaux ou aux représentants du personnel pour défendre ses intérêts comme salarié ne va pas de soi. Si 51% des salariés non cadres font confiance au DS pour les défendre, seuls 42% des cadres pensent de même. Mais est-ce révélateur d’une défiance envers les DS ou l’aveu paradoxal que recourir à un syndical entraîne des répercussions négatives pour le salarié lui même ? Toujours au sujet du représentant syndical, les personnes interrogées attendent en priorité qu’il soit :

  • honnête (51%);
  • connaisse bien ses dossiers (41%);
  • exemplaire (31%);
  • capable de tenir ses promesses (27%);
  • proche des gens (26%);
  • combatif (24%).

Commentaire de Guy Groux : « Les salariés demandent à leurs représentants de n’être plus seulement des porteurs de banderoles, ils veulent qu’ils soient capables de se saisir de dossiers, y compris pour négocier. Il est d’ailleurs frappant que 52% des personnes interrogées privilégient l’entreprise comme niveau de négociation, contre 32% qui privilégient la branche et 16% qui voudraient s’en tenir au code du travail ».

Sur ces qualités aussi existe toutefois un décalage entre cadres et non-cadres. Les non-cadres réclament bien davantage à un DS d’être combatif (25% des salariés contre seulement 16% des cadres), et beaucoup moins qu’il soit exemplaire (28% contre 43% pour les cadres). Les raisons perçues d’un faible taux de syndicalisation en France concernent une « trop grande politisation des syndicats » (53% dans l’ensemble), un éloignement des réalités économiques (28%), une moindre envie collective de s’engager, point qui arrive au même niveau que la peur de représailles de la part de l’employeur (26%), une majorité jugeant que les organisations syndicales françaises sont trop nombreuses.

Les salariés prêts à manifester ?

Ajoutons un chiffre qui paraît étonnant au regard de la faible mobilisation populaire des manifestations organisées par certaines organisations syndicales : 58% des salariés (60% des salariés et 50% des cadres) se disent prêt à manifester pour défendre ses propres intérêts. Une majorité de personnes interrogées se disent d’accord avec l’idée qu’il faille faire de la compétitivité française « une priorité » et la plus grande partie souhaitent une évolution du système capitaliste, 33% revendiquant « une réforme en profondeur » et 54% « une réforme sur quelques points ». Tout cela n’est-ils pas contradictoire ? Pas forcément aux yeux de Guy Groux : « Les salariés peuvent très bien faire le constat d’une impuissance des syndicats à faire bouger les choses tout en se disant prêt à des actions revendicatives ou protestataires ».

De fait, les personnalités syndicales réformistes n’apparaissent guère quand on demande aux personnes interrogés de dire spontanément quelles sont les figures syndicales. Les leaders cités sont Philippe Martinez (10%), Henri Krasucki (9%), Arlette Laguiller (3%), Edmond Maire (seul réformiste présent, avec 3%) et Bernard Thibault (3%). Le congrès de la CFDT, cette semaine à Rennes, va-t-il permettre à Laurent Berger, son secrétaire général, d’améliorer sa notoriété ? A suivre…

(*) Pour ce « baromètre du dialogue social », l’institut Ipsos a interrogé par internet, du 21 au 25 mai 2018, 1 600 salariés dont 605 cadres et 1 045 non cadres, 686 salariés travaillant dans des PME et 449 dans de grandes entreprises. A noter que 15% des salariés adhérent à un syndicat. Enquête menée par le Cevipof/SciencesPo et Ipsos pour Dialogues, une association dont le conseil d’administration réunit des directeurs de ressources humaines et de relations sociales, et qui se veut « un lieu de dialogue libre et anticipateur ».

Source – Actuel CE