C’est un cabinet d’avocats. Nous fêtons nos 19 ans en 2022. Nous avons une équipe d’une trentaine de personnes sur Paris, mais aussi Marseille, Nantes et Lyon. Le cabinet, qui travaille en partenariat avec le groupe Alpha et les experts de Secafi, se consacre à la défense des salariés, individuellement (salariés du privé et agents du public) et collectivement (CSE et IRP, syndicats). Auprès des CSE, nos dossiers portent majoritairement sur les prérogatives économiques des CSE, mais nous assistons aussi les comités dans le domaine des activités sociales et culturelles (ASC), notamment concernant les aspects contractuels, dont les difficultés de relations entre le CSE et ses prestataires externes, comme par exemple les agences de voyage.
Sur ce sujet, nous avons été sollicités par quelques comités, mais finalement assez peu. Il s’agit de gros comités ayant engagé des sommes importantes pour envoyer, par exemple, 800 personnes à un spectacle qui a été annulé.

Toujours dans les grands CSE, il y a eu aussi des différends avec les prestataires au sujet des propositions de changement de dates de la prestation achetée. Les CSE plus modestes organisent rarement de telles opérations, ils font davantage de billetterie et, dans ce secteur, les remboursements ont été assez simples. Pourquoi avons-nous reçu peu de demandes d’assistance ? Sans doute des CSE ont-ils géré leurs éventuels problèmes seuls. Peut-être également les agences de voyages ont-elles été assez claires sur les dispositions appliquées pendant la crise sanitaire s’agissant de l’annulation des voyages.
Au début de la crise sanitaire, le gouvernement a publié l’ordonnance 2020-315 du 25 mars 2020 (lire notre article). Ce texte vise notamment à préserver la santé financière des agences de voyage. En effet, si elles avaient été contraintes de rembourser les voyages annulés, comme le prévoit d’ailleurs le code du tourisme, certaines agences auraient sûrement mis la clé sous la porte. Selon cette ordonnance, le consommateur ayant acheté un voyage dont l’annulation était comprise entre le 15 mars et le 15 septembre 2020 ne peut pas obtenir son remboursement immédiat.

L’agence de voyage doit alors, dans les 30 jours suivant l’annulation, proposer au consommateur un avoir couvrant l’intégralité des frais exposés. L’agence doit ensuite proposer, dans un délai de 3 mois, une nouvelle prestation de même coût et identique ou équivalente à la prestation annulée. Cette notion d’équivalence, qui n’a pas été tranchée à notre connaissance par la jurisprudence, a entraîné beaucoup de questions pratiques : si vous aviez acheté un voyage à Santorin et qu’on vous propose maintenant Lisbonne, est-ce une prestation équivalente ? Même chose quand vous deviez être au bord de la mer ou au départ d’un sentier de randonnée et qu’on vous envoie à 10 km de là même si l’hôtel est mieux classé ? Par ailleurs, si l’avoir n’a pas été utilisé dans un délai de 18 mois à compter de la date de la nouvelle proposition, alors seulement le remboursement peut être demandé et obtenu.
Ce que les élus doivent retenir, c’est que la fin de la période de dérogation au code du tourisme imposée par l’ordonnance de 2020 signifie que les agences de voyages doivent rembourser les prestations de voyage annulées (et n’ayant pas fait l’objet d’une prestation équivalente acceptée par les CSE) depuis le 15 février 2022. Aux CSE concernés d’en faire la demande. Cela n’exclut pas bien sûr des contentieux de la part de CSE estimant avoir été abusés par une prestation non équivalente à celle annulée. Une démarche délicate lorsque les CSE ont signé formellement un nouveau contrat pour cette activité de remplacement, mais cela n’a pas toujours été le cas. Il faut dire que le système prévu par l’ordonnance est assez complexe, et certaines agences de voyage l’ont mal maîtrisé. Elles ont proposé des voyages pas vraiment équivalents à la prestation annulée ou des voyages à un prix supérieur. Des CSE se sont donc retrouvés à attendre un délai important avant d’être remboursés, ce qui a parfois provoqué une insatisfaction des salariés.
Oui, mais il faut dire que depuis une quinzaine d’année, la relation entre les ouvrant-droits et les CSE a beaucoup évolué dans le sens d’une relation de consommation, avec moins d’activités collectives type voyages culturels, au profit de davantage de remboursements de frais de vacances individuels (lire notre encadré). Bref, ce mécontentement, ajouté à l’enjeu financier que cela représentait pour certains CSE, a poussé des élus à réagir.
Nous avons appuyé un CSE auquel l’agence de voyage avait refusé de rembourser une prestation annulée. L’agence avait proposé au comité une prestation de remplacement, mais de façon assez floue, sans dates précises, et sans dire que sa proposition rentrait dans le cadre de l’ordonnance du 25 mars. Comme les choses n’avançaient pas, les élus se sont décidés, un peu tardivement, à venir nous voir.

Nous avons écrit à l’agence pour lui signaler que sa proposition ne respectait pas les conditions posées par l’ordonnance. Notre argumentation consistait à dire : si nous devons aller au contentieux, nous soulignerons que vous n’avez pas respecté les conditions posées par l’ordonnance afin de protéger votre agence, nous dirons que le CSE n’a pas en à pâtir et qu’il demande l’application du droit commun, et le code du tourisme est particulièrement protecteur pour le client. Le code du tourisme dit clairement qu’une agence de voyage ne pouvant pas honorer une prestation doit procéder au remboursement immédiat de toutes les sommes versées.
Nous n’avons pas eu besoin d’aller au contentieux, l’agence a remboursé l’intégralité des sommes, soit environ 30 000€. C’est d’ailleurs un montrant qu’on retrouve en moyenne dans les dossiers des CSE qui nous ont saisi sur le sujet. De cette affaire, nous pouvons tirer deux leçons. La première, c’est que sur ce type de dossier, les CSE nous saisissent trop tardivement. Dans l’affaire dont nous vous parlions, le CSE n’avait plus qu’à attendre un mois de plus pour se retrouver en situation d’exiger son remboursement sans entamer de procédure, ils n’ont pas beaucoup gagné de temps par rapport à ce qu’ils auraient pu obtenir en agissant de façon précoce.

La deuxième leçon, c’est que le droit reste toujours assez abscons pour celui qui n’y est pas familiarisé. Je plaide bien sûr pour notre chapelle, mais il y a sûrement de notre part un message à faire passer aux élus sur l’intérêt qu’il y a pour eux à prévenir les risques sur toute la partie contractuelle de l’activité du CSE. Ceux des comités qui en ont les moyens ne doivent pas hésiter à se faire accompagner sur ce volet des relations contractuelles avec leurs prestataires, cela leur apportera de la sécurité et du temps gagné.
Bien sûr ! Un bon exemple, ce sont les machines à café proposées aux CSE. Les fournisseurs de ces équipements, qui font miroiter aux comités une part de bénéfices sur chaque café vendu, font signer aux CSE des contrats contenant de nombreuses obligations à la charge de l’instance : fournir un lieu pour installer une ou plusieurs machines, laisser le prestataire assurer la promotion de son café, etc.

Sur le papier, cela paraît intéressant, jusqu’au jour où le café est moins bon, où la machine tombe en panne et n’est pas réparée, où la prestation laisse à désirer, etc. Les salariés ouvrants-droits du CSE vont alors commencer à se plaindre. Le problème, c’est que ces contrats peuvent souvent contenir des clauses abusives, avec un principe de tacite reconduction à échéance sans information préalable à la date anniversaire du contrat, si bien que les comités se retrouvent piégés et que les élus doivent consacrer beaucoup de temps à résoudre ces problèmes, car tous les CSE sont loin de pouvoir employer du personnel. C’est autant de temps non passé à exercer ses prérogatives en matière économique ou en matière de santé, sécurité et conditions de travail.
Peut-être, mais nous observons aussi une forme de renouveau chez certains prestataires des CSE, vers une approche plus respectueuse de l’environnement et du local. Ainsi, un CSE peut se donner les moyens d’aborder autrement le choix de ses activités et de ses prestataires pour les activités sociales et culturelles.

Comment ? Vous savez que pour les prestations de plus de 30 000€, les CSE importants doivent se doter d’une commission des marchés qui doit définir des critères de sélection des prestataires. On voit émerger des réflexions en vue de mettre des critères de sélection non plus seulement fondés sur le prix, le nombre de salariés couverts ou de services, mais aussi sur la qualité, la compensation carbone de la prestation, les aspects environnementaux. Certains CSE se disent : plutôt que faire trois voyages comme avant, ne faisons plus que trois week-ends en France ou en Europe mais en train. D’autres renoncent à choisir telle activité au motif que les conditions sociales offertes aux salariés de cette entreprise ne sont pas correctes.
Exactement ! Certains CSE qui ne sont pas des grands comités prennent aussi ce type d’initiative, comme ces élus qui avaient voulu privilégier pour la restauration de l’approvisionnement local, un menu végétarien par semaine, etc. C’est plus rare, mais certains CSE stoppent la délégation à l’employeur pour reprendre en charge la gestion de la restauration afin de proposer une autre prestation aux salariés : c’est le choix fait, il y a quelques années, par le CSE Snecma à Gennevilliers.
C’est la pratique des élus, en effet. Mais le texte sur cette commission n’est pas si clair, en fait. La commission des marchés est bien chargée de définir les critères, mais est-elle censée les appliquer ? Ce n’est pas illogique mais le texte ne va pas jusque là. Il nous semble qu’il faut prévoir pour cela une délégation du CSE vers cette commission. Les comités ont aussi intérêt à définir les circuits de transmission de l’information et de décisions. Pour les prestations ASC, qui doit décider ? Cela met en jeu le bureau du CSE, mais peut être aussi la commission des marchés, la commission voyages, la commission petite enfance, etc. Or ces circuits ne sont jamais définis dans les accords de mise en place des CSE. Pour les plus petits CSE, cette problématique existe aussi : le secrétaire du CSE peut-il décider seul avec le trésorier d’engager des dépenses ? Se pose ici la question d’une bonne définition de la délégation de pouvoir et de mandat.
C’est en effet le bon moment pour les CSE de se poser, de faire un audit, un bilan de ce qui fonctionne ou non. Au vu de ce bilan, que faut-il mettre dans l’accord sur le CSE, dans le règlement intérieur du comité ?

Ces questions valent pour les activités sociales et culturelles mais aussi, bien sûr, pour les prérogatives et le fonctionnement de la CSSCT (commission santé, sécurité conditions de travail), des représentants de proximité éventuels, sans oublier l’articulation entre les établissements et l’échelon central, etc. Prenons l’exemple de l’envoi des documents pour une consultation du CSE sur les conditions de travail : sont-ils envoyés au seul CSE ou aussi à la CSSCT en parallèle ? Si le CSE doit saisir la CSSCT pour lui transmettre les documents, cela signifie attendre la première réunion et voir les délais courir…
Comme le télétravail se développe et que les salariés sont amenés à travailler de plus en plus seuls, moins en collectif, on peut s’attendre à une accentuation des tendances déjà à l’oeuvre, comme une individualisation de plus en plus poussée et une exigeante croissance des salariés à l’égard des CSE, sur le thème : « C’est notre argent que vous gérez ! » On voit ainsi de plus en plus des CSE soumis à une pression des salariés qui se placent sur le terrain de la discrimination liée aux ASC.

Cela pousse à des activités de plus en plus individualisées. A moins que l’absence de relations avec les autres finisse par susciter une envie contraire : je vois de moins en moins les collègues au boulot, pourquoi ne pas les retrouver sur des activités de loisirs ? Ces activités communes pourraient être une des voies pour rétablir un lien, distendu par le télétravail, entre les salariés et entre les salariés et les élus. Quoi qu’il en soit, sur le plan juridique, nous sommes très attentifs à ce que le CSE soit toujours considéré comme un non-professionnel des ASC. Car si le comité se voyait imposer les obligations d’un professionnel du voyage, plus aucun élu n’organisera plus de voyages au regard des risques de voir les salariés ou un tiers se retourner vers le comité en cas de problème…
Voyages, séjours et sorties du CSE : en baisse de 20 points !
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Plus de 40% des CSE comptent organiser un voyage, un séjour ou une sortie, que ce soit en groupe ou en individuel en 2021-2022, indique l’enquête d’Officiel CSE menée en juin et juillet 2021 auprès d’un millier d’élus. Ce chiffre était de l’ordre de 60% ces dernières années, avant la crise sanitaire. Autre évolution, les CSE qui comptent organiser ce type d’activités vont la subventionner davantage : 95% d’entre-eux l’envisagent, au lieu de 70% auparavant. |