Le haut Conseil à l’Égalité (HCE) a rendu hier un rapport sur l’index d’égalité professionnelle entre hommes et femmes. Si l’outil a permis une prise de conscience des inégalités salariales, le calcul des indicateurs atténue et invisibilise les inégalités. Le HCE constate aussi que les élus du personnel ne s’en sont pas emparés.

Créé en janvier 2013, le HCE a pour mission d’animer le débat public sur la politique relative aux droits des femmes et à l’égalité. Il publie régulièrement des rapports et recommandations dans ces domaines, notamment depuis 2017 un rapport annuel sur l’état du sexisme en France (lire notre article). A la veille de la journée internationale des droits des femmes, il publie un rapport de 140 pages consacré à l’index d’égalité professionnelle. Depuis 2020, les entreprises de plus de 50 salariés sont tenues de calculer et publier chaque année leurs résultats d’index.

Ce nouveau rapport ne fait que confirmer l’urgence d’une refonte déjà promise lors de la conférence sociale par Elisabeth Borne en octobre 2023. Ces derniers jours, le cabinet du Premier ministre Gabriel Attal a annoncé des concertations avec les partenaires sociaux en vue de se doter d’un nouvel index d’ici 2025. De nombreux points sont à revoir, notamment le champ d’application : seulement 1 % des entreprises sont tenues de calculer leur index. Si le HCE reconnaît que l’index a permis de prendre conscience des inégalités, le mode de calcul des indicateurs atténue les inégalités salariales.

Indicateur d’écarts de salaire : un calcul « largement invérifiable »

A lui seul, l’indicateur sur les écarts de rémunération représente 40 % des résultats de l’index. C’est dire son importance dans le calcul de la note finale. Malgré cette place majeure, sa conception ne permet pas de rendre compte des inégalités réelles, principalement pour des raisons méthodologique : la marge d’erreur tolérée de 5 % (ou « seuil de pertinence ») réduit le résultat final des « écarts calculés, constate le HCE. De plus, des « effets de bord statistiques » rendent parfois l’index « incalculable ».

Le rapport critique également que l’indicateur des écarts salariaux consiste dans une moyenne, qui par définition manque de précision. Il pointe que cette méthode de calcul n’est pas conforme aux exigences de la directive européenne du 10 mai 2023 sur la transparence des rémunérations. Enfin, le HCE indique que l’indicateur « altère la compréhension des écarts de rémunération ». Dans leur calcul, les entreprises peuvent retenir les catégories socio-professionnelles (sans consulter le CSE), mais de nombreux secteurs privilégient la référence à la convention collective de branche (avec consultation du CSE). La première méthode aboutit à une réduction de 5 % des écarts, la seconde à une réduction de 2%.

Le HCE en conclut que l’indicateur « tendant déjà à atténuer les inégalités réelles, le phénomène d’invisibilisation est double : par certains choix méthodologies et (…) par l’opportunité laissée aux employeurs d’adapter un calcul complexe et largement invérifiable ».

L’indicateur sur les promotions efface les traitements différenciés

Le HCE note tout d’abord une difficulté d’interprétation du terme de promotion, sa définition étant purement administrative, comme le « passage d’un salarié à un niveau ou coefficient hiérarchique supérieur ». L’indicateur peine à tenir compte des promotion dans un même grade, entre deux grades différents, automatiques, avec changement d’intitulé de poste. De ce fait, certaines promotions ne sont pas prises en compte. Il existe de plus une grande homogénéité des systèmes de promotion d’une entreprise à l’autre. L’indicateur ne tient pas plus compte des montants d’augmentation salariales liées aux promotions, ni de la qualité de ces dernières. Selon le HCE, cela peut dans certains cas « invisibiliser les traitements différenciés entre les femmes et les hommes ». Autrement dit, l’indicateur efface de lui-même les cas où les hommes et femmes sont promus, mais où les hommes perçoivent une meilleure augmentation de salaire…

L’index laisse de côté les CSE et les branches

Pour le Haut Conseil, l’index laisse persister « une absence de stimulation du dialogue social » car il n’a que très peu d’effet sur la négociation en entreprise. En principe, l’employeur présentant une note inférieure à 75 sur 100 doit mettre en œuvre des mesures de rattrapage par accord ou décision unilatérale après avoir consulté le CSE. Pourtant, « la création de l’index n’a rien changé aux obligations de l’entreprise en termes de négociations. Les DRH interrogés par le Haut Conseil confirment que les indicateurs n’ont pas été un fil directeur de négociation, notamment parce que le cadre légal existant prévoit déjà une négociation sur la suppression des écarts de salaires.

De plus, les représentants du personnel se sont peu saisis de l’index, et sont souvent consultés « par pur formalisme ». Le HCE convient que la raison vient peut-être de la technicité de l’outil mais reconnaît aussi que les élus n’ont souvent pas accès aux modalités de calcul. L’index est donc plus utilisé comme un outil RH que comme un appui au dialogue social. Les élus de CSE auditionnés par le Conseil se disent vigilants sur le fait qu’une bonne note à l’index permet aux employeurs de court-circuiter les représentants du personnel.

Enfin, les branches professionnelles n’ont pas d’obligation d’accompagner les entreprises sur le calcul de l’index. Certaines apportent un soutien ponctuel, comme Le Monde de la Propreté qui propose un traducteur d’index dans l’environnement de la déclaration sociale nominative. Des organisations interprofessionnelles ont également proposé des formations, mais le rôle des branches reste à écrire.

Les propositions du HCE

 

Les pistes d’évolution les plus consensuelles au sein du haut conseil proposent de maintenir l’index. L’indicateur sur les écarts de salaire pourrait cependant être remplacé par celui que propose la directive de mai 2023 en pourcentage d’écarts entre hommes et femmes et avec 7 sous-indicateurs en annuel et horaire brut. Il pourrait aussi intégrer les éléments variables de rémunération et tenir compte des emplois de valeur égale. Le HCE propose de renforcer la communication des pouvoirs publics qui pourraient également prendre en charge une automatisation du calcul de l’index via un logiciel libre et gratuit sur Internet. Il serait également souhaitable de mieux conjuguer l’index et les autres outils comme la base de données économiques sociales et environnementales (BDESE), les accords d’égalité professionnelle. Le rôle des branches gagnerait à être renforcer en appui des entreprises. En piste « majoritaire », le HCE propose de tenir compte des temps partiels.

En revanche, plusieurs pistes ne font pas consensus au HCE, comme renforcer les sanctions des entreprises en cas d’inégalité constatée (même avec un simple bonus/malus), publier la liste des entreprises ayant obtenu un zéro à l’un des indicateurs, ou encore imposer l’obligation de négocier avec les délégués syndicaux lorsque les résultats sont insuffisants.

Marie-Aude Grimont

Source – Article issu du site Actuel CSE